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Une chambre en Inde

Ariane Mnouchkine ( Mise en scène )


: (5) Extrait de "L'œuvre"

Émile Zola, 1886

Dans cette dernière scène du roman de Zola, Pierre Sandoz, écrivain incarnant l’affirmation d’une esthé- tique nouvelle et Bongrand, peintre reconnu, viennent d’assister à l’enterrement de leur ami Claude Lantier, oublié de tous.


Dévasté par l’impossibilité de créer, ce dernier s’est pendu dans son atelier face à une toile inachevée. L’action se déroule dans un cimetière en périphérie de Paris, en bordure d’une voie ferrée.


Et Sandoz, se décidant à quitter la fosse à demie comblée, reprit :


– Nous seuls l’aurons connu... Plus rien, pas même un nom !

Il est bien heureux, dit Bongrand, il n’a pas de tableau en train, dans la terre où il dort... Autant partir que de s’acharner comme nous à faire des enfants infirmes, auxquels il manque toujours des morceaux, les jambes ou la tête, et qui ne vivent pas.


– Oui, il faut vraiment manquer de fierté, se résigner à l’à-peu-près, et tricher avec la vie... Moi qui pousse mes bouquins jusqu’au bout, je me méprise de les sentir incomplets et mensongers, malgré mon effort.


La face pâle, il s’en allait lentement, côte à côte, au bord des blanches tombes d’enfants, le romancier alors dans toute la force de son labeur et de sa renommée, le peintre déclinant et couvert de gloire.


– Au moins, en voilà un qui a été logique et brave, continua Sandoz. Il a avoué son impuissance et il s’est tué.


– C’est vrai, dit Bongrand. Si nous ne tenions pas si fort à nos peaux, nous ferions tous comme lui... N’est-ce pas ?


– Ma foi, oui. Puisque nous ne pouvons rien créer, puisque nous ne sommes que des reproducteurs débiles, autant vaudrait-il nous casser la tête tout de suite. » Ils se retrouvaient devant le tas allumé des vieilles bières pourries. Maintenant, elles étaient en plein feu, suantes et craquantes ; mais on ne voyait toujours pas les flammes, la fumée seule avait augmenté, une fumée âcre, épaisse, que le vent poussait en gros tourbillons, et qui couvrait le cimetière entier d’une nuée de deuil. – Fichtre ! Onze heures ! dit Bongrand en tirant sa montre, il faut que je rentre. Sandoz eut une exclamation de surprise.


– Comment ! Déjà onze heures ?


– Il promena sur les sépultures basses, sur le vaste champ fleuri de perles, si régulier et si froid, un long regard de désespoir, encre aveuglé de larmes. Puis il ajouta :
– Allons travailler.

Émile Zola, L’Œuvre, 1886

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