theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Une chambre en Inde »

Une chambre en Inde

Ariane Mnouchkine ( Mise en scène )


: (2) Extrait du "Journal de Cornelia "

Hélène Cixous, extrait, Théâtre du Soleil, mai 2016

Nous étions comme des réfugiés de l’Histoire. Autour de notre chambre, les Temps étaient déchaînés. Nous nous demandions ce qui nous arrivait, nous les gens les plus divers, mais unis par le même souci, nous nous demandions comment nommer Ça, ce chaos (l’air était bouillant). À travers les porte- fenêtres, on entendait les bruits de l’Inde, cette manif perpétuelle. Il ne dort donc jamais, ce continent ?


Nous voulions la Vie, comprendre ses Violences folles.


Nous avions l’impression que le monde entier se bousculait pour défiler dans notre chambre. Les peuples appelaient. C’était vraiment bouleversant. Ils criaient : Au secours ! Ou : Plus jamais ! Et dans combien de langues ? Toutes ! Nous cherchions à répondre, Nous, les membres de la Troupe. Les temps allaient si vite.


Nous sautions comme des puces d’une Ville à l’autre. Au moment de rire on pleurait, et inversement. Il y avait autant de dangers que d’espoirs, ou presque.


On ne savait pas comment ça allait finir.


Certains d’entre nous se tourmentaient de ne pas savoir comment commencer.


Après tout nous avions une mission : créer un spectacle.


Que dis-je ? LE SPECTACLE. Dès demain en signer la promesse.


C’est comme si on nous avait dit : « Bouclez l’Orient et l’Occident forcenés dans une coquille de noix. Résumez les pestes et les paix en une potion parfumée. »


– Oui, oui, on va essayer, nous hâtions-nous.


Et à l’instant, on voyait s’élever contre nous une armée d’angoisses et d’impuissances. Autant nous demander de faire rentrer l’arche de Noé, le déluge et la traversée du désert, la Révolution française et les autres, et toutes les guerres de religion, la renaissance d’Ulysse, le massacre des sorcières, l’enterrement des Pandavas, etc., etc., dans un seul pousse-pousse. Comment ne pas trembler ?


Nous redoutions le ridicule. Nous poursuivions le rire avec acharnement.


Heureusement ou par malheur cette nuit-là durait des siècles. Vers minuit un colonel m’apporta les dernières nouvelles. J’ouvre le journal. Je criai : Non !



Hélène Cixous, extrait du Journal de Cornelia, Théâtre du Soleil, mai 2016

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.