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La Bonne nouvelle

mise en scène Benoît Lambert

: Patrick vu par Patrick Brault

Entretien réalisé dans le cadre du dossier Pièce (dé)montée

Qui est Patrick ?


Patrick, et c’est ce qui fait l’intérêt du personnage, a plusieurs facettes. Il n’est jamais là où on l’attend. Il est le maître de cérémonie (MC), le meneur de show : c’est lui qui l’orchestre, choisit les musiques, la distri- bution, l’ordre des confessions et des saynètes...
Il est aussi le maître à penser du groupe (mais je ne dois jamais me dire que je joue un gourou quand je joue !). On peut bien sûr faire de lui une figure christique : il est celui qui apporte à ses apôtres « la lumière » (même si cette lumière consiste justement à ne plus croire). Mais il est aussi un homme blessé.


Que veux-tu dire par là ?


Pour moi, et c’est ce que je voudrais que le jeu prenne en charge en créant des ruptures dans les états, c’est quelqu’un qui a une faille : il porte en lui des échecs, des humiliations. Et, à la fin, il craque : il sort de son rôle de psychanalyste et se met lui-même en jeu et en risque. Sous la pression du groupe, il va en effet finir par parler de lui, de sa propre rupture, de sa propre conversion : « Tu as trouvé Patrick », lui dit Luc, ce qui est à la fois beau et con ! Beau car, en effet, Patrick a découvert qui il était vraiment, et con parce que Luc se contente de reprendre la même phrase qui a ponctué la confession de chaque membre du groupe !
En tout cas Patrick finit par retracer son parcours : il aimait les maths et il est devenu économiste, un éco- nomiste déshumanisé, avec une approche strictement scientifique et rationnelle de la discipline.
Il a oublié que l’économie avait partie liée avec la sociologie et qu’être économiste c’est avant tout être un humain qui s’occupe d’autres humains. (C’est la thèse que défend Lordon, lui qui montre l’importance des affects dans les constructions théoriques.) Et sa conversion consiste à ne plus supporter cet état de fait et précisément à se tourner vers les autres...


Livre-t-il aussi des éléments sur sa vie privée ?


Non. Aucun des personnages ne le fait du reste. Le texte saisit ce qu’il peut y avoir d’enjeux intimes dans leur rapport au travail mais ne livre rien de leur vie privée. À charge pour chaque acteur justement d’ima- giner ce qu’il en est pour donner vie aux personnages. Le metteur en scène insiste sur cette nécessité de l’incarnation : donner à voir des humains et non de simples fonctions.
Il faut donc arriver à trouver la jus- tesse de chaque personnage. Ce qui n’empêche pas de rendre lisible la discontinuité structurelle de la pièce et la façon dont certains passages peuvent être joués, comme chez Brecht, sur le mode de la citation. Par exemple la saynète dans laquelle je joue le père de Simon est traitée sur le mode d’un récit édifiant avec des figures appartenant à l’imagerie de la crèche par exemple. Mais si l’émotion est ainsi distanciée, elle est pour autant toujours très présente.


A-t-il les mêmes rapports avec chaque membre du groupe ?


Non. Et c’est aussi ce qui va permettre de trouver des couleurs différentes au personnage : il est, par exemple, souvent agacé par Luc (qui n’a pas le même niveau intellectuel que les autres). Avec Sinon, il entretient un rapport plus paternaliste (il joue du reste le rôle de son père dans les saynètes). Il est plus tendre avec Marthe qu’avec Madeleine avec qui il entretient peut-être un rapport de rivalité (elle a été comme lui une brillante universitaire).
Avec Jeanne... je ne sais pas encore...
En tout cas même s’il s’adresse à chacun différemment, cela ne lui fait pas perdre de vue qu’il s’adresse avant tout au public : même dans les saynètes, il n’y aura pas de quatrième mur. Il ne s’agit pas d’un entre- soi mais d’une réunion devant public qui doit rester spectaculaire même si parfois elle peut avoir un côté un peu cheap, un peu ratée comme s’il n’arrivait pas à tout maîtriser.


Tu parles de « réunion publique ». Ce n’est donc plus un stand up comme il est indiqué dans la première version du texte ?


En effet on s’éloigne du côté stand up présent lors des premières répétitions en juin. Ce n’est pas tant un show télévisuel qu’une réunion sérieuse où chaque soir les participants revivent devant le public le moment de leur conversion. Et Patrick les aide sincèrement à le faire pour qu’ils puissent, par leur exemple édifiant, aider à leur tour le public. « Aidons-nous les uns les autres », tel est son credo.
On est à présent plus du côté des « libéraux anonymes » (sur le modèle « des alcooliques anonymes ») que du côté du show télévisuel. C’est ce décalage-là en tout cas que l’on recherche.
Il y a évidemment aussi dans ce cérémonial quelque chose d’ordre religieux : racontez/revivez... sauf qu’aucune réponse n’est donnée à la fin (on ne sait pas vers quoi ils vont après s’être convertis).
J’aimerais aller voir du côté de l’armée du salut... Je suis sûr qu’il y a des aspects dont on peut se nourrir et notamment ce mélange entre un aspect très spectaculaire, très ritualisé (port de l’uniforme...) et un aspect très concret (où l’on parle de ta vie...). Après tout le mot « salut » est bien un mot du texte !


(Entretien réalisé en septembre 2016)

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