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: Extraits de texte

Les références sont issues de Guy Debord, Œuvres édition Gallimard, Quarto


Le coryphée (La société p.1196)
(1.) Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation.


(2.) Les images qui se sont détachées de chaque aspect de la vie fusionnent dans un cours commun, où l’unité de cette vie ne peut plus être rétablie. La réalité considérée partiellement se déploie dans sa propre unité générale en tant que pseudo-monde à part, objet de la seule contemplation. La spécialisation des images du monde se retrouve, accomplie, dans le monde de l’image autonomisé, où le mensonger s’est menti à lui-même.


(3.) Le spectacle se présente à la fois comme la société même, comme une partie de la société, et comme instrument d’unification. En tant que partie de la société, il est expressément le secteur qui concentre tout regard et toute conscience. Du fait même que ce secteur est séparé, il est le lieu du regard abusé et de la fausse conscience ; et l’unification qu’il accomplit n’est rien d’autre qu’un langage officiel de la séparation généralisée.


(4.) Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images.


(6.) Le spectacle, compris dans sa totalité, est à la fois le résultat et le projet du mode de production existant. Il n’est pas un supplément au monde réel, sa décoration surajoutée. Il est le cœur de l’irréalisme de la société réelle. Sous toutes ses formes particulières, information ou propagande, publicité ou consommation directe de divertissements, le spectacle constitue le modèle présent de la vie socialement dominante. Il est l’affirmation omniprésente du choix déjà fait dans la production, et sa consommation corollaire.


(9.) Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux.


(10.) Considéré selon ses propres termes, le spectacle est l’affirmation de l’apparence et l’affirmation de toute vie humaine, c’est-à-dire sociale, comme simple apparence. Mais la critique qui atteint la vérité du spectacle le découvre comme la négation visible de la vie ; comme une négation de la vie qui est devenue visible.


(12.) Le spectacle se présente comme une énorme positivité indiscutable et inaccessible. Il ne dit rien de plus que « ce qui apparaît est bon, ce qui est bon apparaît». L’attitude qu’il exige par principe est cette acceptation passive qu’il a déjà en fait obtenue par sa manière d’apparaître sans réplique, par son monopole de l’apparence.


(16.) Le spectacle se soumet les hommes vivants dans la mesure où l’économie les a totalement soumis. Il n’est rien que l’économie se développant pour elle-même. Il est le reflet fidèle de la production des choses, et l’objectivation infidèle des producteurs.


(18.) Là où le monde réel se change en simples images, les simples images deviennent des êtres réels, et les motivations efficientes d’un comportement hypnotique.


(21.) À mesure que la nécessité se trouve socialement rêvée, le rêve devient nécessaire. Le spectacle est le mauvais rêve de la société moderne enchaînée, qui n’exprime finalement que son désir de dormir. Le spectacle est le gardien de ce sommeil.


Le monstre (In girum imus nocte et consumimur igni p.1338)
On leur parle toujours comme à des enfants obéissants à qui il suffit de dire "il faut" et ils veulent bien le croire. Mais surtout on les traite comme des enfants stupides, devant qui bafouillent, et délirent, des dizaines de spécialisations paternalistes, improvisées de la veille, leur faisant admettre n'importe quoi, en le leur disant n'importe comment, et aussi bien le contraire le lendemain.


Séparés entre eux par la perte générale de tout langage adéquat aux faits, perte qui leur interdit le moindre dialogue, séparés par leur incessante concurrence, toujours pressés par le fouet, dans la consommation ostentatoire du néant, et donc séparés par l'envie la moins fondée et la moins capable de trouver quelque satisfaction, ils sont même séparés de leurs propres enfants, naguère encore la seule propriété de ceux qui n'ont rien.
On leur enlève, en bas âge, le contrôle de ces enfants, déjà leurs rivaux, qui n'écoutent plus du tout les opinions informes de leurs parents, et sourient de leur échec flagrant, méprisent non sans raison leur origine, et se sentent bien davantage les fils du spectacle régnant que ceux de ces domestiques qui les ont par hasard engendrés. Ils se rêvent les métis de ces nègres-là. Derrière la façade du ravissement simulé, dans ces couples, comme entre eux et leur progéniture, on n'échange que des regards de haine.


Cependant, ces travailleurs privilégiés de la société marchande accomplie ne ressemblent pas aux esclaves en ce sens qu'ils doivent pourvoir eux-mêmes à leur entretien.
Leur statut peut être plutôt comparé au servage, parce qu'ils sont exclusivement attachés à une entreprise et à sa bonne marche, quoique sans réciprocité en leur faveur, et surtout parce qu'ils sont étroitement astreints à résider dans un espace unique, le même circuit des domiciles, bureaux, autoroutes, vacances et aéroports toujours identiques.


Mais ils ressemblent aussi aux prolétaires modernes par l'insécurité de leurs ressources, qui est en contradiction avec la routine programmée de leur dépense, et par le fait qu'il leur faut se louer sur un marché libre, sans rien posséder de leurs instruments de travail, par le fait qu'ils ont besoin d'argent. Il leur faut acheter des marchandises et on a fait en sorte qu'il ne puisse leur rester de contact avec rien qui ne soit une marchandise.


Habitant 7 en homme du XVIIe s. (Commentaires p.1597)
(III.) Le changement qui a le plus d’importance, dans tout ce qui s’est passé depuis vingt ans, réside dans la continuité même du spectacle. Cette importance ne tient pas au perfectionnement de son instrumentation médiatique, qui avait déjà auparavant atteint un stade de développement très avancé : c’est tout simplement que la domination spectaculaire ait pu élever une génération pliée à ses lois.


Habitant 1 (Commentaires p.1605) (VIII.) Partout où règne le spectacle, les seules forces organisées sont celles qui veulent le spectacle.


Habitant 2 (Commentaires p.1605) Aucune ne peut donc plus être ennemie de ce qui existe, ni transgresser l’omertà qui concerne tout.


Habitant 3 (Commentaires p.1605) On en a fini avec cette inquiétante conception, qui avait dominé durant plus de deux cents ans, selon laquelle une société pouvait être critiquable et transformable, réformée ou révolutionnée.


Habitant 4 (Commentaires p.1605) Et cela n’a pas été obtenu par l’apparition d’arguments nouveaux, mais tout simplement parce que les arguments sont devenus inutiles.


Habitant 5 (Commentaires p.1605) À ce résultat, on mesurera, plutôt que le bonheur général, la force redoutable des réseaux de la tyrannie.


Habitant 1 (Commentaires p.1605) Jamais censure n’a été plus parfaite.


Habitant 2 (Commentaires p.1605) Jamais l’opinion de ceux à qui l’on fait croire encore, dans quelques pays, qu’ils sont restés des citoyens libres, n’a été moins autorisée à se faire connaître, chaque fois qu’il s’agit d’un choix qui affectera leur vie réelle.


Habitant 3 (Commentaires p.1606) Jamais il n’a été permis de leur mentir avec une si parfaite absence de conséquence.


Habitant 4 (Commentaires p. 1606) Le spectateur est seulement censé ignorer tout, ne mériter rien.


Habitant 5 (Commentaires p. 1606) Qui regarde toujours, pour savoir la suite, n’agira jamais : et tel doit bien être le spectateur.

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