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Une chambre en Inde

Ariane Mnouchkine ( Mise en scène )


: avec Thérèse Spirili, régisseuse et créatrice son

« J’ai enregistré tous les sons : ceux de la rue, de jour comme de nuit, des chiens, des oiseaux, des écureuils… »

Entretien réalisé à l'occasion du dossier Pièce (dé)montée, propos recueillis par Marie-Laure Basuyaux, juillet 2016
Voir aussi l'article associé : Les bruits de l'Inde

Lorsque nous sommes partis en Inde, nous ne savions pas précisément pourquoi nous y allions : Ariane nous a lu le projet qu’elle avait rédigé seulement lorsque nous sommes arrivés là-bas, le premier jour. En partant, je ne savais donc pas exactement ce que j’allais pouvoir faire, je ne savais pas que le spectacle se passerait en Inde, mais si je n’avais pas été là-bas, je n’aurais pas pu faire le travail que je suis en train de faire…


Chaque matin, j’enregistrai tous les cours, toutes les leçons de Therukoothu, cette forme théâtrale que nous avons découverte là-bas et qui reste l’une des rencontres les plus fortes que nous ayons faites. C’est Sambandan Kannappa, le maître de la troupe de Therukoothu du village de Purisai, qui a formé les comédiens. Je devais essayer de recueillir le maximum de matériel sonore là-bas, à la fois sur le Therukoothu et sur la vie en Inde. J’ai donc enregistré tous les sons : ceux de la rue, de jour comme de nuit, des chiens, des oiseaux, des écureuils (qui ne font pas le même bruit qu’ici !), des temples hindous, bouddhistes, des mosquées, des églises, de l’école qui était située juste à côté du théâtre et d’où nous entendions les voix des enfants qui récitaient. Les marchés étaient une des sources sonores les plus riches : le marché au poisson est dominé par une rumeur féminine assez aigüe, le marché où l’argent est vendu au poids est plus masculin, le marché aux légumes est plus mixte. Les sons liés aux religions étaient aussi particulièrement intéressants puisque quatre grandes religions cohabitent à Pondichéry. Depuis le théâtre Indianostrum où nous répétions, nous entendions les cloches venant des églises, des chants des temples, et nous savions à quel moment de la journée cela correspondait. Je travaille avec un petit enregistreur numérique, un « zoom », puis j’archive de manière systématique les sons : telle piste, tel jour, tel type de son. J’ai des dossiers pour les églises, les marchés, les écoles, etc. Je n’étais pas seule à effectuer ces prises de son : Marie-Jasmine Cocito a également fait énormément d’enregistrements, dont je me sers aussi dans le spectacle.


Ici, à la Cartoucherie, j’essaie de recréer l’ambiance sonore du lieu dans lequel nous avons répété. Je place des enceintes à des endroits différents : une en haut pour les oiseaux, une en bas (dans les fenêtres du décor) pour la rue, une à cour pour l’école et une à jardin pour les temples, etc. Ariane avait dessiné en Inde le plan de l’espace où nous nous trouvions, avec l’indication de ce qui nous entourait, pour prendre conscience de toutes les personnes qui pouvaient entrer sur le plateau ; c’était une sorte de « réserve à personnage ». C’est devenu mon plan sonore, ma spatialisation du son.


J’assiste au travail de répétition dès le début. Les comédiens savent qu’ils peuvent me demander ce qu’ils veulent ; avant leurs improvisations, ils me disent : « ça se passe dans tel pays, à tel endroit, j’arrive en moto, etc. ». Il faut trouver à chaque fois une ambiance sonore qui correspond à l’endroit qu’ils indiquent : si c’est en Iran, il faut trouver un muezzin iranien, etc. Finalement, c’est une manière de préparer le décor de leur scène, le décor sonore. Parfois, je travaille avec des enregistrements de voix pour qu’ils puissent ensuite parler en muet sur des voix préenregistrées, pour créer un effet comique. Ariane, elle, me fait des demandes pendant les improvisations : « j’entends du vent, un univers de guerre lointain… ». J’essaie de prévoir ce qu’elle peut me demander en faisant des listes de sons possibles en lien avec l’improvisation.


Avec Jean-Jacques Lemêtre, notre manière de travailler dépend des créations. Sur Les Naufragés du Fol Espoir, j’enregistrais ce qu’il faisait, pour lui permettre de repartir de ce qui avait été fait. Ce travail de captation est désormais réalisé par Marie-Lou. Nous travaillons maintenant avec Jean-Jacques de manière plus intuitive, lorsque les comédiens demandent quelque chose, je propose une ambiance sonore, il improvise sur elle, parfois je lui laisse la place pour qu’il n’y ait pas trop d’éléments en même temps. Ariane décide souvent des équilibres, elle me dit « envoie l’Inde ! », une Inde citadine ou un temple, j’envoie les sons et elle règle les niveaux entre l’ambiance et la musique.



Propos recueillis par Marie-Laure Basuyaux, juillet 2016

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