: Note d’intention
Culture et barbarie
Je vois Othello comme un homme marchant sur une poutre, image symbolisant l’équilibre difficile et fragile
à maintenir pour l’homme civilisé entre pulsion d’un côté et culture de l’autre. La civilisation interdit
les satisfactions trop immédiates et grossières de l’énergie pulsionnelle essentielle, les passages à l’acte
violents et abjects, tout ce qui représente pour moi la barbarie. L’équilibre de la civilisation est toujours
menacé d’être détruit par une force négative. Dans Othello, c’est la jalousie. Mais la catastrophe d’Othello
est moins la jalousie en elle-même, que la régression dans laquelle elle le fait basculer : d’un être civilisé et
cultivé il devient un être capable de la pire barbarie. À travers l’amour de Desdémone et d’Othello, j’ai envie
de montrer la beauté de la civilisation, cette architecture précieuse qui nous élève et qu’il faut fortifier
parce qu’elle est vitale, mais aussi sa fragilité, si la société ne la développe pas, ne la protège pas, et favorise
« l'avoir » à « l'être ». « L’avoir », c’est cette passion que nous dévoile le jeu des Hommes pour le pouvoir
et la domination.
Les Amours vulnérables de Desdémone et Othello est « une histoire d’amour romantique » dans toute sa beauté
et sa violence. La fin tragique d’Othello, c'est la victoire de la barbarie sur la civilisation, la victoire de la pulsion
de domination et de possession sur la beauté et la civilisation qu'incarne Desdémone seule, puisque
Othello a lâché leur amour pour tomber dans la jalousie et l'obsession de la possession. « Sommes nous devenus
des barbares ? » crie Othello après la violente bagarre de Cassio et Montano.
Le Maure
Pour moi, le racisme n’est pas plus que la jalousie le thème premier de la pièce. La vindicte de Iago à l’égard
des femmes est par exemple tout aussi spectaculaire. Plus que le racisme, ce qui m’intéresse dans la pièce,
c’est cette compulsion qui est le ressort d’une société barbare à ne plus reconnaître l’autre dans sa différence,
à vouloir le détruire.
Othello est avant tout humain, mais l’humain est toujours constitué par une culture particulière, une manière
d’être au monde dans un usage particulier du corps et de la parole. C'est pourquoi j’aimerais qu’Othello
parle aussi en arabe, comme la première marque de sa différence culturelle. J’ai eu la chance de rencontrer
Saul Williams, et qu’il soit séduit par ma proposition. À travers le personnage d’Othello, je ne cherche pas
à afficher une différence raciale, mais bien à rendre présente une différence culturelle : un autre « être au
monde », inconnu, qui suscite beaucoup d’imaginaire et d’érotisme.
Dans Othello, c’est la différence culturelle du Maure qui révèle l’importance de la culture.
Il s’agit de représenter l’étranger à travers la civilisation arabe, dans sa profusion et sa richesse. Saul
Williams et Denis Lavant, poètes amoureux du verbe et du rythme, porteront, chacun à leur manière, cette
dimension contemporaine du « Tout-monde »
L’amour
Je veux montrer dans la fin tragique d'Othello la destruction de la civilisation, de l’autre, de soi. L’amour
nous élève, mais il peut aussi nous conduire à la barbarie. Donner à voir ces deux mouvements, et comment
l’un passe dans l’autre, est pour moi essentiel.
La prise de parole de Desdémone, interprétée par Alexandra Fournier, au dernier acte fait d’elle une héroïne
tragique et plus une simple victime.
Elle est l’incarnation de celle qui lutte pour sauver sa vie et ce à quoi elle croit. Elle devient le symbole de
l’amour et de la civilisation dans ce qu’ils ont de meilleur. Elle meurt, mais ce qu’elle symbolise reste vivant
dans notre mémoire.
Razerka Ben Sadia-Lavant
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