J’aurais pu vous faire très peur. J’aurais pu semer la terreur et l’effroi. J’aurais pu rôder autour de vos maisons la nuit. J’aurais pu y entrer, me glisser dans vos chambres, vous souffler le vent glacé de la mort dans la nuque. J’aurais pu vous voir vous redresser brusquement, le corps en sueur. J’aurais pu errer la nuit dans la campagne. Vous auriez entendu ma sinistre voix chanter de sombres mélopées. Oui, vous auriez eu peur. J’aurais pu vous apparaître. Je vous aurais, déclamé une strophe. Je me serais adressé à vous en vers. Et vous auriez tremblé. Vous auriez pris vos jambes à vos cous avant que je ne vous poursuive pour les trancher de mon épée vengeresse. Mais non ! Je ne ferai rien. Je ne ferai rien parce que je suis fatigué. Vos pleurs m’empêchent de dormir. Vos prières ne me sont pas adressées. Et là vous vous êtes réunis. Vous avez crié « Eveille-toi ! Eveille-toi ! Reviens et dis-nous ! ». Alors oui ! J’aurais pu revenir et faire tout ça. Et plus encore. J’aurais pu vous hanter à jamais, être dans chacun de vos rêves. Si bien que, n’en pouvant plus vous auriez souhaiter mourir aussi. Je suis là. Mon souvenir s’efface et je vais chanter une dernière chanson. Malgré ma grande irritation, je vais chanter. Pour vous. Et pour vous aussi mesdames et messieurs.