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Le Chant de la Terre

mise en scène Joachim Latarjet

: Qui est mort ?…

On ne peut le deviner. Ils sont là et vivent. Ils vivent avec un ou des morts. A l’extérieur de cette petite pièce joue un orchestre de 3 musiciens, eux aussi sont peut-être morts… Du plafond tombent des dizaines de microphones. Ils sont là pour enregistrer, pour donner à entendre le chant des morts. Comment découvre-t-on que l’on est mort ? Que se passe-t-il quand on découvre que l’on est mort ?


- Voyez-vous la lumière ?
- Non.
- Et là, voyez-vous la lumière ?
- Non.


Les fantômes que nous voulons convoquer pour ce spectacle sont ceux avec lesquels il faut négocier, ceux qui s’installent chez nous, un soir et qui viennent manger à notre table sans qu’ils y soient invités. Ce sont ceux de la littérature yiddish extrêmement susceptibles et colériques et dont il faut se méfier plus que tout.


- C’est vrai, les âmes reviennent dans ce monde, mais ce ne sont pas des esprits désincarnés. Elles passent successivement à travers plusieurs corps jusqu’à ce qu’elles soient purifiées. Les âmes de ceux qui ont pêché, entrent dans des corps d’animaux, d’oiseaux, de poissons… Elles n’ont pas la force d’atteindre elles-mêmes à la purification. Il leur faut attendre qu’un juste les libère. D’autres âmes plus claires, reprennent vie dans le corps de nouveaux-nés. Celles-ci se purifient par leurs propres actes.


- Parlez ! Parlez encore.


- Mais il est des âmes errantes qui ne parviennent pas à trouver la paix. Celles-ci s’incarnent dans le corps des vivants comme des dibbouks… C’est seulement ainsi qu’elles arrivent à la purification.


- Puis-je inviter d’autres défunts ?


- Il vaut mieux pas. Ceux que tu n’inviterais pas pourraient s’offusquer et nous faire du mal.


- Ce n’est pas un étranger… Nous l’avons reçu à notre table.


Les revenants et fantômes qui nous intéressent sont ceux qui peuvent surgir partout et à tout moment…


- Ah ! C’est toi ?


- Oui.


- Ce n’était pas vraiment la peine de faire ça comme ça.


- C’est vrai. Mais aurais-tu deviné que c’était moi ?


- Oui, parce qu’il fait froid et que Noël approche et que tu viens toujours quand il fait froid, sombre. Tu viens quand les nuits sont plus longues et que le vent souffle au-dehors. On dirait que la tempête est comme une chasse sauvage, hantée de fantômes. Que veux-tu ?


- Je m’embête.


- Tu n’avais qu’à rester plus longtemps.


- Oui, je sais… mais bon… Maintenant c’est fait.


- Tu me manques. Pourquoi es-tu revenu ?


- On dirait que personne ne s’intéresse à moi.


- Tu es parti. Et depuis tout le monde évite soigneusement de prononcer ton nom. On dit « celui qui est parti » ou bien « le pauvre. ».


- Au début tu sais, j’étais de très mauvaise humeur, je me sentais ombrageux ; et d’entendre appeler mon nom était très dérangeant. J’avais l’impression que l’on ne me pleurait pas comme il fallait. Si vous aviez été réellement tristes vous n’auriez pas pu vous renvoyer mon nom comme ça, comme un pauvre ballon. C’est pour ça qu’au début je suis revenu souvent dans tes rêves. Pour te tourmenter. Le pire c’est quand vous m’avez changé de prénom. Vous avez pensé me duper avec une ruse aussi grossière. M’appeler par un autre nom ! Je sais qu’on est lent mais quand même.


- Tout le monde disait ton nom à voix basse, très basse. Mais tu semblait très énervé et ça n’a pas suffit. Nous aurions pu aussi bien te donner le nom d’un objet ou d’un animal, mais ça aurait été très compliqué car cet objet et cet animal auraient été irrémédiablement reliés à toi. Il fallait donc les abandonner et les remplacer par de nouveaux noms, tant que subsistait ton souvenir.


- Vous avez pensé à ça ? à m’appeler « route », « poule »,  « chapeau » ?


- Oui. Tu nous faisais peur je te dis. Alors nous ne t’avons plus appelé que par les mots « mon amour », « mon frère », « mon père ». Tu as cessé de nous hanter, et alors, doucement, nous avons fini par t’oublier. Repars, s’il te plaît.


- Tu sais, perdre la vie n’est pas forcément très agréable, mais être enterré est vraiment insupportable. On est relégué à l’écart, loin des vivants. C’est cela la véritable mort, l’exil dans une retraite intemporelle. N’aurais-tu pas pu me faire enterrer sous la porte. Comme ça j’aurais pu surveiller la maison. Ou bien au bord de l’eau, j’aurais regardé les allers et venus des bateaux.


- Vas-t-en s’il te plaît.


- Je ne veux pas quitter la maison ! Je ne veux pas être enterré ! Il fait froid dans la tombe, j’ai froid aux pieds dans la tombe.

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