theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « L’Homme inutile ou la Conspiration des sentiments »

L’Homme inutile ou la Conspiration des sentiments

mise en scène Bernard Sobel

: L’Art et la vie

Je voyage dans un pays invisible.


Voyez! Je marche: je reviens de la datcha et je retourne à la ville. Le soleil se couche, et je marche vers l’est. J’accomplis un double périple. Le premier est observable par tous: le passant de rencontre voit un homme qui chemine par des lieux verdoyants et déserts.
Mais qu’arrive-t-il à cet homme qui chemine paisiblement? Il voit son ombre au devant de lui ; l’ombre s’étire très loin et se meut sur la terre; elle a de longues jambes pâles.


Je coupe par un terrain vague, l’ombre s’élève le long d’un mur de briques et soudain perd la tête.


Cela, le passant ne le voit pas, je suis seul à le voir. Je m’engage dans le corridor qui se forme entre deux corps de bâtiments. Ce corridor est infiniment haut et empli d’ombre. Ici, la terre est argileuse, souple, comme dans un potager. Un chien abandonné court à ma rencontre, longeant le mur et déjà amorçant un écart. Nous nous croisons sans nous heurter.


Je me retourne. L’entrée du corridor, laissée en arrière, est nimbée de lumière. Là, sur le seuil, le chien est capturé, l’espace d’un instant, par une protubérance. Puis il resurgit, toujours courant, sur le terrain vague, et c’est seulement à présent que je puis déterminer sa couleur: rousse.


Tout ceci se passe au pays invisible, car dans le pays accessible à oeil commun, il se produit tout autre chose: juste un voyageur qui croise un chien, le soleil qui se couche, un terrain vague qui verdoie. Le pays invisible, c’est le pays de l’attention et de l’imagination. Le voyageur n’y est point tout seul !


Deux soeurs marchent à ses côtés et le conduisent par la main. Une des soeurs s’appelle Attention, l’autre: Imagination.
Qu’est-ce à dire, par conséquent? Qu’à l’encontre de tous, à l’encontre de l’ordre et de la société, je crée un monde qui ne se soumet à aucune loi, sinon celles fantomatiques, de mes sensations personnelles? Qu’est-ce que cela signifie? Il y a deux mondes: l’ancien et le nouveau, mais alors, qu’est−ce que ce monde? Un tiers monde? Il y a deux voies; mais alors, qu’est−ce que cette tierce route ?


Iouri Olecha
Le Noyau de cerise, in Nouvelles et récits, trad. Paul Lequesne, Éditions L’Âge d’Homme, Lausanne, 1995, p. 49-50

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.