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L’Homme inutile ou la Conspiration des sentiments

mise en scène Bernard Sobel

: Une impatience qui ronge le présent

À la mémoire d’Arkadi Belinkov

(...) “La caractéristique principale de mon âme, c’est l’impatience. Je me rappelle que toute ma vie j’ai souffert d’une préoccupation qui m’a empêché de vivre et cette préoccupation c’était précisément qu’il fallait faire quelque chose et qu’alors je pourrais vivre en paix. Ce souci emprunta plusieurs travestis: parfois je m’imaginais que ce “quelque chose” était un roman à écrire, mais il arrivait aussi que c’était un appartement confortable, ou encore un passeport à obtenir, ou bien me réconcilier avec moi-même — mais en fait ce quelque chose d’important qu’il me fallait surmonter pour pouvoir vivre en paix, c’était la vie elle-même. Ainsi tout peut se résumer à ce paradoxe que le plus difficile dans la vie, c’est la vie elle-même — attendez un peu que je meure et alors vous verrez comment je vivrai.”


Ce paradoxe d’Olecha, nous le verrons à l’oeuvre dans L’Envie, et il fut à l’oeuvre dans toute sa vie. Ce n’est pas ni simple velléitarisme, ni encore inaptitude à la trempe de vie stalinienne qui exigeait des hommes d’un seul tenant, comme le Makarov de L’Envie, ce n’est même pas non plus ce goût pour le clochardisme qui mena Olecha à une fin de vie bohème et alcoolique dont le quartier général était le Café National à Moscou, au coin d’Okhotnyj Riad et de la rue Gorki (le café n’existe plus mais que de fois nous avons rencontré la grosse tête anguleuse et tourmentée d’Olecha dans les années 56-57!) — non, c’est avant tout un certain mal de vivre qui se manifesta surtout en un mal d’écrire: une impatience qui ronge le présent et qui décolore la jouissance, bref l’impuissance. (...)


(...) Le conflit entre le nouveau et l’ancien, sur quoi sont bâtis tant de romans soviétiques, prend dans L’Envie le chemin du souterrain. Le conflit fait rage, mais dans l’intimité de Kavalerov. Car extérieurement, il ne bronche pas, il encaisse les railleries sans appel de son protecteur. Le conflit est intérieur et quasi grammatical : entre “moi” et “lui”. Lui bâfre, moi pas. Lui chante aux waters, lui a un poste important, moi je me tais, moi j’observe. Lui fait sa gymnastique quotidienne, moi je suis un freluquet, lui s’ébroue en se lavant, moi je me fais petit comme une souris; lui est heureux en tout, les choses l’aiment, lui ; moi je suis malheureux et le moindre buffet en profite pour me faire un croc-en-jambe. Bref lui est un homme remarquable, moi un bouffon... (...)


Georges Nivat
“Les aquarelles de Iouri Olecha”, préface à L’Envie, Éditions L’Âge d’Homme, Lausanne, 1978

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