“Le reflet de lune
Qui habite l'eau
Au creux d'une main
Réel ? Irréel ?
J'ai été cela au monde. “
Ki No Tsurayuki

Présenter de manière évidente que la réalité est complexe, voici le défi de cette pièce. Inciter le public à voir le monde sans les frontières de classification qui, à force de nous aider à comprendre et à classer, nous empêchent de saisir la réalité dans ce qu’elle a d’incongru et d’inexplicable.

C’est avant tout une façon de voir le monde que nous présenterons aux spectateurs. Murakami conçoit la vie contemporaine comme épique, il fusionne fantastique et quotidien. Les objets parleront, les symboles deviendront personnages, les personnages symboles, la ville et la forêt lutteront, autour de deux acteurs qui incarnent Kafka et Nakata.

Le premier rôle masculin, celui d’un adolescent de quinze ans qui se choisit le prénom d’un auteur célèbre, est tenu par une fille. Ce jeune Kafka rencontrera plus tard un bibliothécaire, qui lui révèle être hermaphrodite. Les frontières sexuelles sont ténues.
Si on manipule des marionnettes, utilise des projections, interprète plusieurs personnages, rien ne doit apparaître comme de la distanciation ou de la mise en abîme. C’est une pièce dans laquelle les symboles sont des êtres vivants et des vrais interlocuteurs. Si je parle à une tache de sang qui symbolise mon père et qu’elle me répond, ce n’est pas une image, mais la réalité de notre univers. Le génie de Murakami réside dans cette passerelle entre le monde occidental et oriental. Il bouleverse nos codes contemporains et renoue directement avec la mythologie.

Murakami me permet un théâtre des origines, celui d’une époque où les dieux s’incarnaient pour parler aux hommes. Une époque où l’homme participait à des entreprises qui le dépassaient. Une époque où l’on croyait en ces mondes différents et qu’il était possible qu’ils ne fassent qu’un. Une époque durant laquelle on a eu besoin du théâtre pour exprimer tout cela.

Robert Sandoz