: Entretien avec Jonas Hassen Khemiri
Rencontre très formelle à La mousson d’été 2007 - Abbaye des Prémontrés
Extraits (l’auteur a souhaité s’exprimer en français)
J’ai écrit deux romans en suédois. C’est ma première pièce. Je voulais écrire,
comment on construit un sentiment de collectif ou de « nous ». Abulkasem
joue le rôle de cette menace qui vient de l’extérieur mais aussi quelque chose
qui peut donner de l’espoir de l’intérieur. Tous les jeunes caractères dans la
pièce utilisent Abulkasem pour se grandir. Le nom Abulkasem les transforme
en beaucoup plus forts et beaucoup plus. Les chercheurs ou la génération plus
âgée considèrent Abulkasem comme une ombre menaçante sur quoi on peut
projeter ses sentiments désagréables. Le nom d’Abulkasem vient de la pièce du
XVIIIe siècle Signora Luna de Carl Jonas Love Almqvist qui est citée au début.
Quand on entend cette langue au début, on entend que c’est historique et
que c’est difficile à comprendre. Quand on a joué la pièce, pendant un an et
demi, à Stockholm, il y a eu beaucoup de réactions.
Le processus d’écriture. Comment as- tu écrit cette pièce ?
Par rapport à la temporalité, le plateau télévisé qui revient régulièrement…
J’ai commencé avec l’histoire à la fin, le monologue. C’était une manière de
construire un sentiment d’authenticité dans la pièce. C’est une partie où on
reçoit, où l’acteur devient le petit frère de l’écrivain.
Cette partie-là, c’est une histoire qu’un ami m’a racontée. Il était jeune, il a fait
ça. Il était dans la campagne et il a vu un mec qui a brûlé ses doigts. Mais il a
visité une maison comme ça. J’ai commencé par écrire sur cette expérience et
ensuite j’ai travaillé à l’envers, en arrière. Après mon premier roman, il y avait
un théâtre à Stockholm, le théâtre municipal qui m’a demandé d’écrire une
pièce. Il y a beaucoup de gens qui ont lu mon premier roman d’une manière
simpliste, con quoi. À mon avis, il y avait des gens de la critique qui ont lu avec
des yeux cadrés. J’ai trouvé cette idée d’écrire quelque chose sur un homme,
ou sur un nom qu’il était impossible à saisir.
Je suis curieux de savoir si l’intérêt pour les sujets est un intérêt pour l’actualité ou si c’est un intérêt autobiographique.
C’est toujours impossible d’écrire, de se séparer de ses textes, c’est toujours
un peu mélangé. Il y a beaucoup de moi dans les textes. Je crois que j’ai
commencé à écrire la pièce parce que je voulais vraiment écrire quelque chose
pour démontrer comment une identité peut être une menace ou renforcer
quelqu’un. La scène au début, invasion sur la scène et construction d’une
langue avec le nom parfait : Abulkasem…
Je faisais souvent ça avec mes amis quand j’étais petit. Les mots, comme les
identités étaient quelque chose de fluide, de fluctuant.
Le ton de la pièce est vraiment drôle.
Le monologue de la fin, lui ne l’est pas du tout. Pourquoi l’avoir placé à la fin ?
Quand on a mis la pièce
en scène à Stockholm, le moment où le public a arrêté de rire, c’est le moment
que j’aime dans la pièce. Tout à coup, dans la scène avec l’interprète, l’acteur
parlait perse. Quand on le fait vraiment avec la langue perse ou arabe, c’est
très fort. Au début les spectateurs rient, mais lorsqu’on comprend que c’est la
traductrice qui invente les répliques racistes, on est écoeuré. J’aime bien cette
expression : de blesser avec l’humour. J’aime bien le sourire qui se fige.
Au niveau du mot, est-ce que c’est une réflexion sur le langage ?
Mon père vient de la Tunisie, ma mère est Suédoise. Quand je vivais en Suède,
j’avais l’impression que le suédois n’était pas vraiment ma langue. Que le suédois était un peu comme la langue coloniale, la langue de pouvoir… Et
quand on jouait avec les mots, quand j’étais petit, c’était aussi pour créer un
outil, une appropriation. J’écris des pièces, mais j’ai toujours rêvé d’écrire des
romans. C’est une question du roman.
Est-ce que tu as directement souffert du racisme en Suède ?
Il y avait des périodes en Suède qui m’ont touché. Je ne sais pas si vous avez
entendu. L’homme au laser. Quand j’avais treize ans, en 91, il y avait un raciste
à Stockholm qui a acheté un fusil et il a utilisé un viseur laser et a commencé
à tirer sur les hommes d’origine étrangère. C’est intéressant, j’avais treize ans,
ça a duré 7 mois, en 91. Aujourd’hui beaucoup de gens ont oublié. Il a tiré
sur 11 personnes. Il y en a un qui est mort, c’est une chance qu’il n’y ait pas
eu plus de morts. Je me souviens très bien comment est arrivé ce sentiment
d’être exclu de l’identité générale suédoise ; Avec ce mec là, ça devient trop
visuel. Il y avait des Skinheads à Stockholm qui ont commencé à acheter des
viseurs laser et, tout à coup, il y avait des points rouges (du laser) partout
à Stockholm. Tout à coup, j’ai commencé à me voir comme pas forcément
suédois. Utiliser la langue c’était pour trouver une identité créole.
Abulkasem, en arabe, ça veut dire le père du témoin. Ce que vous dites là et ce que représente le mot, dans sa vraie signification, est tout à fait divergeant.
Oui, j’aime bien ça. C’est un mot avec beaucoup de possibilités. Dans Signora
Luna, Dans les Mille et une nuits. C‘est un prénom du prophète. Chirurgien.
Comment on peut prendre un mot et le remplir avec beaucoup, beaucoup
de sens. Il y a des gens qui ont commencé à utiliser le mot Abulkasem. Il y a
un site sur Internet « Abulkasem was here »… Dans le métro, j’ai entendu
des rappeurs qui chantaient en disant « si tu ne me crois pas, je vais chercher
Abulkasem ».
Tu es romancier et tu es dramaturge. Comment tu vis le passage de l’écriture romanesque à l’écriture dramatique. Deux écrivains se partagent-ils votre moi poétique ?
Il a souvent eu cette question. Mais il n’a jamais eu ce sentiment.
Quand j’écris c’est un processus…tout ce que j’ai écrit, c’est toujours mélangé,
ce sont les différents côtés de la même pièce. Tout est lié. Quand j’ai travaillé
sur cette pièce, j’ai utilisé cette manière d’écrire que j’utilise dans l’écriture
romanesque et il y a des choses dans la pièce qu’on ne pourra jamais
comprendre. Il y a un jeu de mot avec les noms des chercheurs. Il y a des
anagrammes. Un des chercheurs s’appelait Dr Cecil Zenozzq (j’avais du mal à
trouver une anagramme pour Condolize Reis). Je n’aime pas que ce soit trop
explicite
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