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Invasion !

mise en scène Michel Didym

: La Pièce

Invasion ! élabore son propre style qui nous séduit, d’abord, par son atypicité. C’est un hommage rendu au théâtre même, à la puissance du jeu dramatique, à l’efficacité de la profération (malgré les décrochements de tonalité et les substitutions d’acteurs), aux potentialités illimitées d’un « espace vide » susceptible, avec un minimum de moyens techniques, de se prêter aux plus extraordinaires évocations décoratives. La réussite, de ce point de vue, est totale. Invasion ! nous mène en balade et nous entraîne dans un tourbillon d’illusions.
Le fil conducteur est extrêmement limpide. Il repose beaucoup sur la sonorité d’un nom propre, celui d’Abulkasem, dont la puissance quasi-magique est soulignée dès le prologue. Toute la pièce démontre le bien fondé de cette hypothèse. Au théâtre, plus que nulle part ailleurs, un simple mot de quatre syllabes peut être un redoutable concentré d’énergie, un moteur puissant, alternativement créateur et destructeur. « Abulkasem », ce « signifiant maître » est, doté d’un charme irrésistible, il conditionne le destin de tous les personnages. Il agit sur eux comme un talisman et constitue, pour les spectateurs, le sésame inaccessible qui, s’ils le possédaient, lui ouvrirait la compréhension de la pièce. Le fait que son signifié (ou son référent) ne cesse de se dérober introduit dans la quête du sens une dimension ludique qui nous implique, presque directement, dans le jeu théâtral. Seules nos facultés d’imagination, ardemment sollicitées, nous permettent de pénétrer de plainpied dans la pièce, à la recherche du personnage authentique, celui qui n’aurait pas usurpé son nom.
Aussi, ne sommes-nous pas trop surpris – quand bien même ce type d’adresse, au théâtre, ne laisse pas d’être troublant - lorsque des comédiens se tournent vers nous pour nous interpeller : après tout, il n’est pas impossible qu’Abulkasem se trouve parmi nous.
Car, ne nous y trompons pas ; sous le jeu théâtral, et derrière la mise en scène sommaire de la permutation des rôles, il se passe effectivement quelque chose d’important pour le spectateur. On ne met pas impunément en oeuvre le pouvoir d’une formule magique.
Abulkasem n’est pas la simple métaphore censée signifier, de façon théorique, le caractère sacré du langage. Il indique également qu’il existe une manière d’employer les mots à bon escient, et que même la prononciation d’un mot est politique.
Il se produit une déchirure dans le voile de l’illusion théâtrale ou, pour le dire autrement, un effet de vérité. Telle est, au fond, le véritable « coup de théâtre » qu’on est en droit d’attendre de toute représentation digne de ce nom. La commotion qui en découle ne survient pas forcément dans l’élaboration d’une image fastueuse.
Elle peut se produire au cours de la simple présence d’un étranger qui veut parler et de sa traductrice qui « interprète » tous ses mots. Parvenu à ce constat (qui situe l’efficacité du théâtre au coeur de l’énonciation), la distinction entre « distanciation » et « identification » n’a plus aucune pertinence. On est saisi jusqu’à la moelle. C’est ce qui se produit, inéluctablement, à la fin de la pièce, dans l’une des scènes des plus stupéfiantes qu’il nous ait été donné d’entendre depuis longtemps. Moment d’une redoutable violence et, cependant, d’une élégance parfaite. Un dispositif langagier parfaitement calculé suffit à provoquer ce moment de vérité insupportable. Dérèglement de tous les sens : l’oeil écoute ! La situation dramatique, véritable manifestation d’un « théâtre de la cruauté » porte alors le voyeurisme à un degré d’incandescence aveuglante. S’il ne voit plus rien, le spectateur reste sur une impression sidérante.

Olivier Goetz

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