: J’adore l’adolescence par Nadia Xerri-L.
Entretien mené par Dhebia Degmous, le 4 Août 2008 à Paris
Couteau de nuit est votre quatrième pièce, elle interpelle sur le registre de l’intime et interroge sur des questions universelles, plus que jamais actuelles. Comment tout cela vous est-il venu ?
NXL: C’est à dessein, c’est un engagement
personnel. J’interviens beaucoup dans les
prisons où je mène notamment des ateliers
d’écriture avec les détenus. J’ai vraiment l’impression
de vivre dans une société qui me
fait peur. La responsabilisation est une chose
clef ; c’est une notion, une valeur et un acte
qui n’existent pas tant que ça. Chacun arrive
toujours à réclamer son dû mais les gens
oublient leurs devoirs ; on est dans une
société de victimisation, chacun oubliant de
prendre sa part d’action pour avancer.
En prison on ne se concentre pas sur celui
qui est là pour la première fois, on ne l’aide
pas plus que celui qui est là pour la 4e ou la
5e fois. Rien n’est spécialement fait pour que
quelqu’un ne recommence pas.
C’est la logique de la répression ?
NXL : Cette répression qui génère presque l’envie de recommencer. Si on prenait les détenus différemment, ce serait presque un accident de la vie, donc curable.
Dans le prologue de votre pièce — long monologue de Cécile — vous distinguez les curables et les autres…
NXL: La société a ses responsabilités ; il faudrait
donner plus d’énergie à celui qui est
curable, il n’est pas encore abimé de façon
irrémédiable.
Les récidivistes qui ont « dérapé » 4 ou 5
fois, on peut à peine les croire, ils sont foutus.
Il y a une profonde démagogie à mettre
tout le monde en prison. Il faut savoir accompagner
tout le monde, mais différemment.
L’accompagnement va déterminer la chute
ou la non rechute. Il y a des circonstances
qui permettent des prises de consciences
clefs, il faut aider ces détenus à se réintégrer.
C’est un problème politique que la société doit prendre à bras-le-corps ?
NXL : On fait mourir le respect que la personne porte à elle-même et ses liens aux autres en l’acculant complètement. Traiter les premiers dérapages aussi sévèrement que ceux des récidivistes, c’est fragiliser les gens, déjà les mettre de coté.
Dans Couteau de nuit, écrite après le verdict d’un procès, vous soulignez le tragique du quotidien, vous questionnez l’irresponsabilité. Comment un jeune homme peut tuer et, tel un refrain, répéter à l’infini que ce n’est pas son histoire ? Il est à côté, en marge de lui-même?
NXL : Oui, qu’il puisse encore dire que ce n’est pas son histoire, que ce n’était même pas son réel ! Vous vous posez des questions sur la virtualité, sur la société, sur la justice. Comment se peut-il que pendant plusieurs jours, ni juge, ni avocat, absolument personne n’ait amené le « présumé coupable » à dire autre chose que « ce n’est pas mon histoire » ? Vous vous dites déjà que le coupable va retourner en prison et qu’il va en sortir fou, violent ; il ne sait même pas pourquoi il va là-bas. Ce n’est qu’une immense injustice pour lui. Cela ne peut qu’engendrer la violence qui engendre la violence qui…
Alex, c’est l’anti héros de la pièce, il rappelle Roberto Zucco de Bernard-Marie Kotlès ? C’est la tête brûlée ?
NXL: Pas tout à fait. Ce qu’il dit c’est qu’il ne peut pas avouer. Quand il dit qu’il vit avec l’idée d’avoir tué un homme, il ne peut pas supporter ça. Il dit moi je ne peux pas.
Il ne peut pas endosser la responsabilité. C’est trop pour lui.
NXL : Oui. Au fond les responsabilités sont partagées, il a la sienne évidemment. Mais personne ne l’aide à l’endosser.
D’après ce que vous dites, il est « foutu » puisqu’il est dans l’incapacité de reconnaître son acte. Et pourtant vous ne le condamnez pas.
NXL: Non, surtout pas. Personne n’est jamais foutu, je crois qu’on ne soutient pas assez les accidentés. Ce serait horrible de dire que quelqu’un est foutu. Mais les chances s’amoindrissent.
C’est une vraie tragédie que vous avez écrite. Alex est condamné avant même d’avoir commis son crime, car, quand la narratrice commence à faire son récit à rebours, on comprend qu’il ne peut pas échapper à son destin. Il est issu d’une famille de 3 enfants, son frère et sa soeur s’en sortent, mais lui reste en marge.
NXL: Oui, il est trop aimé par la mère et le
père, aimé avec trop de pression. C’est l’aîné,
on lui demande d’être le meilleur et il se
casse le nez contre le fait qu’il n’est pas l’enfant
rêvé. Ce qui est très douloureux ; soit les
aînés arrivent à se dresser contre l’enfant
fantasmé par les parents, soit ils ne se sentent
pas à la hauteur, ils chutent.
Et là, Alex chute.
Quelle est la part de responsabilité des parents ? Ils s’accusent dans la pièce, surtout le père.
NXL: Elle est grande ! Il y avait une voiture
lancée à toute vitesse contre un mur, ils ont
réussi ni à casser le mur, ni à arrêter la voiture.
Il y a des familles où ce sont les enfants
qui sont la soupape de toute la douleur des
parents ; en eux se cristallise tout ce qui n’a
pas été digéré.
Les parents veulent que leurs enfants réussissent
leur vie, mais comment peuvent-ils
leur donner le goût d’avancer sans leur montrer
l’exemple ? Comment peut-on miser tout
sur son enfant si on ne mise pas sur soimême;
l’enfant a absolument besoin que les
parents misent sur eux.
Les parents ne sont pas seuls responsables,
ils sont coresponsables. Alors oui, ils se
condamnent eux-mêmes, surtout le père. La
mère se responsabilise, mais son amour la
dépasse.
Et les autres personnages, particulièrement La Narratrice – Hélène, peut-on dire qu’elle est complice ? Elle sait tout, elle cache même l’arme du crime, c’est aussi une voix de femme, très audible… Comme celle de La Petite Amie. Au travers d’elles vous nous parlez des liens, de l’amour de ce qui se passe derrière les drames. Que pouvez-vous nous dire de votre Narratrice Elle couve, couvre Alex ? Ou bien l’aide-t-elle à s’affranchir ?
NXL : La narratrice, si elle avait réussi à
coincer Alex dans les toilettes, s’ils avaient
forniqué, au moins il n’y aurait pas eu de
meurtre. Le personnage de la Narratrice m’a
complètement dépassé en écriture. C’est
sorti de moi incroyablement. Au départ, elle
n’était pas narratrice. Un jour, j’ai commencé
à écrire sur un karaoké bar, il y avait juste
une femme qui était présente, elle avait
séduit tout le monde, fait rougeoyé tout le
monde. J’ai lu ce passage à quelqu’un qui
m’a dit que cette femme, dans ce bar là, était
la/ma narratrice. J’ai dis oui, évidemment !
C’est dans le personnage de la Narratrice
que je me suis amusée le plus. Dans mes
trois premières pièces publiées chez Actes
Sud, j’avais déjà écrit sur l’intime. Mais là, je
n’avais pas eu cette envie mais celle de
créer une tension auprès du spectateur.
J’avais envie de me défier. Et La Narratrice,
c’est vraiment un défi de moi à moi en tant
qu’auteur, car elle est monstrueuse. Elle est
monstrueusement géniale, monstrueusement
morbide, monstrueusement séductrice,
monstrueusement rebelle.
Manipulatrice… Elle l’aurait poussé au meurtre quelque part…
NXL : Si elle avait été courageuse, rien de
tout cela ne se serait passé. Car si ce soir là
elle avait été courageuse, elle l’aurait entrepris
concrètement.
Je crois qu’elle l’a précipité, comme si elle
l’avait poussé pour voir jusqu’où il pouvait
aller.
Il y a un mystère autour de cette Narratrice, effectivement ; elle aussi est diaboliquement femme, cette nuit là en particulier. Il y a aussi l’expression d’un désir absolument diabolique, que personne ne peut arrêter.
NXL: Inassouvi
Inassouvi, il lui échappe ce désir.
NXL : Oui, vous avez raison, Elle est en pleine incapacité à vivre ce désir, d’en faire quelque chose et c’est du coup une pièce qui veut dire que quand on ne sait pas vivre les choses à temps, c’est catastrophique.
Ils n’ont pas su vivre ce désir là, tout ça s’est concrétisé par un meurtre, au couteau. Très freudien… Ils ont sublimé leur désir dans le meurtre. C’est un accès de folie ?
NXL : C’est un accès de fantasme, de parano, de déraison.
Il tue qui, Alex ?
NXL: C’est là la question…
Ses démons, son père, le désir,… ?
NXL : Je l’ai fait tuer un jumeau, donc un double, je ne sais pas…
Il se suicide, d’une certaine façon…
NXL: Là c’est vous qui savez mieux que moi. Vous avez raison, je pense que la question se pose.
On en a l’impression quand même, et c’est pour ça qu’il dit aussi que ce n’est pas son histoire ; qu’il s’est tué, au fond.
NXL : C’est magnifique de penser ça. Oui, certainement. Ah oui, c’est horrible, c’est vrai.
Vous n’y avez pas pensé ? Selon moi, il s’est extrait de la vie, il s’est tué…
NXL: Ah ! Ça m’émeut beaucoup, je pense que ça peut être ça. Ah ! Oui, c’est ça qui est génial dans l’écriture. À quel point ça vous dépasse, à quel point ça vous travaille, c’est magique. Et quand il y a quelqu’un comme vous, sensible, qui lit vraiment la pièce, pour moi c’est juste un immense cadeau parce que j’ai vraiment l’impression d’avoir fait un objet à part entière que vous pouvez vous appropriez, puis vous me le rendez. C’est assez drôle en fait parce que ce que vous dites me rappelle une répétition, il y a trois semaines à Belfort. Raphaël qui joue Alex, dans une séance d’improvisation, arrive avec une sorte de cagoule noire au moment où il crie : « tu veux que je reconnaisse, mais qui peut supporter… », il enlève se cagoule et il tient sa tête à bout de bras. Oui, c’est ça. Mais la résurrection est possible, ce n’est pas que noir.
Il y a le jumeau qui reste. Et puis, la Narratrice…
Vous êtes allée au théâtre à partir de onze ans, à Nanterre. Je sais que vous avez le désir de faire que le théâtre soit accessible à toutes les couches sociales. Pensez-vous que votre pièce peut toucher les adolescents et en quoi ?
NXL: J’adore l’adolescence…
… Tout d’abord cette pièce parle de la famille
et du positionnement de chacun au sein de
la famille. Les ados sont confrontés au lien
avec les parents, les frères et les soeurs.
Le destin d’Alex s’est tramé à cette période
de sa vie ; sa sortie de route s’est faite à 25
ans, mais il était entré dans une voie sans
issue dès l’adolescence.
J’interviens beaucoup en lycée, et quand on
est dans la classe, on devine déjà ceux qui
pourraient sortir de la route selon une certaine
typologie sociale mais aussi personnelle.
Le père dit que les parents ont démissionné
tout comme l’éducation nationale. Alors,
quand les adultes démissionnent, l’adolescent
est presque condamné.
Ensuite Couteau de nuit pose la question de la virtualité. C’est très intéressant de montrer à ces jeunes ce qui est réel et ce qui est virtuel. Certains adolescents ne font plus la différence car la frontière leur est très complexe à identifier. Quand Alex dit « ce n’est pas mon histoire », on est exactement dans ce rapport au monde qui leur est propre. Je suis convaincue qu’il n’aurait pas pu dire cela dans une société où le virtuel n’aurait pas tant de place.
Puis il y a l’esthétique de ma langue qui parle
bien aux adolescents. Elle est beaucoup
construite à base d’images presque primaires,
même brutes. C’est une langue qui
n’est ni cérébrale, ni intellectuelle, mais sensitive.
Elle les bouscule, les charrie et les
décomplexe.
De plus, les ados sont touchés car ma direction
d’acteurs est presque documentaire. Il
n’y a rien d’ampoulé qui ferait obstacle à leur
envie de rentrer dans l’histoire. J’utilise beaucoup
les adresses au public. Les adolescents
ont alors l’impression que sans eux, le
spectacle n’existerait pas, que leur présence
dans un théâtre face à cette histoire et ces
comédiens n’est pas vaine mais essentielle.
Je travaille avec les comédiens afin que leurs
présences sur scène soient tangibles, ne
serait-ce que par le regard. Chaque comédien
doit être là. Même celui qui ne parle
pas, sa présence doit être sentie.
Il faut convoquer le public, dire ce qui a pu être ressenti par lui à un moment donné. Les adolescents sont sensibles à cette énergie, alors le contact se fait.
in Pièces démontées CRDP Reims
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