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Cinq jours en mars

+ d'infos sur le texte de Toshiki Okada traduit par Corinne Atlan
mise en scène Yvan Rihs

: Espace

Suivant la même idée, l’espace de représentation nous apparaîtra au départ avec ses fonctions les plus sommaires : dans la salle du deuxième étage du Théâtre du Grütli rendue à son obscurité, un gradin pour le public et un plateau nu, peu profond, pour les acteurs-narrateurs. Le rideau s’ouvre sur ce face à face vieux comme le monde, entre ceux qui racontent et ceux qui écoutent, un rapport qui fonde l’idée même de théâtre. Sauf que ceux qui racontent ne nous semblent pas qualifiés pour le faire, ce qui saute aux yeux dans cet espace terriblement vide, lorsque Acteur 1 commence en disant «Bon alors, euh…». Mais les Acteurs vont raconter quand même : ce temps leur est donné et ils le prennent. Et devant nous, à partir de rien du tout, à partir de ce «Bon alors euh…», c’est tout le théâtre qui se réinvente : une expérience à partager avec un public, des expériences de personnages qu’on essaie de revivre et à la place desquels on va vouloir se mettre - on fait semblant qu’on est «lui» ou qu’on est «elle», qu’on est ces «quelques-uns d’autres». Sur l’aire de jeu, cette redécouverte du théâtre s’amorce dans ses fondements basiques, par l’adresse à l’auditeur, avec toutes les limites que ce premier défi épique rencontre fatalement. Mais ces limites vont être sans cesse repoussées, et devant nous se déploie toute la palette des tentatives possibles : quelques accessoires d’abord, puis quelques éléments de décor sont constitués, dans l’espoir de mieux faire voir : un plan de la ville griffonné sur un mur, un matelas pour un lit d’hôtel, ou si ça ne prend pas, si ça fait plus branché : «un carré de lumière projeté au sol, et les deux Acteurs à l’intérieur»…


Dans la première moitié du spectacle, qui correspond à l’exposition des différentes situations et personnages de l’oeuvre, ces tentatives se déclinent dans un rapport de relative proximité avec les rangées de spectateurs, avec des moyens variés mais plutôt frustes. Cependant, dès la seconde partie, les images deviendront graduellement plus sophistiquées : une grande porte en fond de scène coulissera en deux temps pour donner visuellement accès à un second espace, contrastant radicalement par sa blancheur et ses proportions avec le premier. Passage provisoire dans une esthétique plus cinématographique, malgré les résistances du texte lui-même à ce type de traitement. Mais il va en subir par cascades encore quelques autres, par des jeux de juxtaposition de plus en plus élaborés entre les voix des acteurs, en direct ou au micro, des nappes sonores en diffusion, ou des effets de lumières qui tentent obstinément de donner matière au récit de base. Loin d’imposer une simple masse indistincte de stimulations, ces combinaisons doivent donner une impression de vertige dans l’infinité des sensations engagées par cette histoire malgré son humilité primordiale. Ce moment culminant doit aussi permettre de faire entrer dans la salle les événements qui se déroulent à l’extérieur, jusqu’à ce que la grande Histoire, le théâtre des opérations mondiales, viennent recouvrir tout à fait les soupirs des banlieues de Tokyo. Par les grandes fenêtres maintenant à vue grâce à cette perspective en profondeur, une lumière saturée d’intensité irrigue toute la salle. Puis tout s’arrête.


Dans le silence, Acteur 1 et Acteur 2 se retrouvent seuls face au spectateur, aussi dépouillés qu’au début :


ACTEUR 1.- Voilààà (il lui tend 20 000 yens)
ACTRICE 2.- Meeerci (elle les prend, les met dans son portefeuille)
ACTEUR 1.- Bon, ben (Ils se mettent à marcher) … Euh, on va jusqu’à la gare ensemble ?
Ils quittent la scène. Au bout d’un moment, les lumières s’éteignent

Yvan Rihs

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