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Cinq jours en mars

+ d'infos sur le texte de Toshiki Okada traduit par Corinne Atlan
mise en scène Yvan Rihs

: Corps en jeu

Le texte nous invite ouvertement à un travail insolite sur la parole, mais aussi, de façon plus implicite, sur le corps. Quelles relations, pas si évidentes, entre les mots et les expressions physiques ? Qu’est-ce qu’on communique à travers un discours, et qu’est-ce qu’on dit par nos postures en chair et en os ? Par quels sentiers, de nos jours, est-il encore possible d’«entrer en contact» ? En donnant de la voix ou en s’offrant à corps perdu ? Ces questions se posent confusément à tous les personnages de la pièce : aux groupies qui se laissent emballer par la voix d’une rock star, aux militants qui manifestent ensemble leurs colères politiques, aux anonymes qui s’adressent la parole dans un lieu ordinaire ou aux amants nouveaux sur le lit d’un motel. Mais au-delà de ces situations fictives, et grâce au procédé dramatique spécifique d’Okada, ces questions touchent singulièrement à la relation entre acteurs et spectateurs. Car au théâtre, comme partout ailleurs, on sait bien que les choses ne vont pas de soi : c’est une relation à réinventer en permanence, quitte à ce que les propositions physiques et verbales faites sur le plateau pour défier la sclérose des lieux communs se montrent parfois déroutantes – pourvu qu’elles nous rapprochent d’une manière ou d’une autre.


Dans sa pièce, Okada ne donne que peu de précisions sur les attitudes physiques des Acteurs. Pourtant, il nous semble que la rigueur nécessaire à la réalisation des mots sur scène doit s’appliquer pareillement à la gestuelle. En effet, cette absence de définition claire quant au comportement de jeu est criante, surtout si l’on se réfère aux codes extérieurs extrêmement hiérarchisés dans la société japonaise, et à sa tradition culturelle en matière de sublimation du corps dans tous les domaines artistiques. Si l’auteur nous renvoie subversivement au degré zéro du langage par la voix de quelques jeunes «anti-hérauts » d’aujourd’hui, il nous immerge aussi dans un système de relations concrètes vidé de toute convention structurante. Ne subsiste que le rituel cahoteux des entrées et des sorties, sans que rien n’ait jamais vraiment pu finir ni commencer. Mais, comme pour les paroles, ces anti-actions se déroulent sur un mode qui n’en reste pas moins caractéristique et qui développe finalement des codes à part entière, aussi complexes et significatifs que les codes sociaux d’usage ou les combinaisons du kabuki, par exemple. De même que l’on ira à la découverte d’une oralité extrême en prenant le texte comme une partition éminemment écrite, le travail sur le mouvement nous amènera à traduire la réalité du geste le plus ordinaire de manière quasi chorégraphique.
Si la situation initiale offre un schéma de jeu plutôt statique, il s’agira d’en explorer d’abord les subtilités pour révéler le caractère parfaitement ludique de ce défaut de mouvement, avant de le défier par des ruptures où le corps s’activera de façon décalée, inadaptée, ou carrément outrancière.


Le spectateur ne doit surtout pas se voir plongé dans une espèce de léthargie, ce qui adviendrait si on lui imposait indifféremment un langage rébarbatif qu’il lui serait facile de qualifier d’étranger. C’est pourquoi, le traitement du geste et de la parole a pour objectif de dégager d’un flot de propos apparemment informe une ligne clairement perceptible, constituée de micro-événements autonomes, reliés entre eux de façon toujours inattendue, mais aussi toujours étrangement distincts et identifiables. Contre toute attente au départ, et malgré tous les préjugés, les individus qui évoluent devant nous parlent en réalité exactement la même langue que nous.

Yvan Rihs

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