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Soupçons

mise en scène Dorian Rossel

: Entretien avec Carine Corajoud, dramaturge

Propos recueillis par Eva Cousido

EVA COUSIDO Carine Corajoud, comment passer de six heures de film à un format court pour la scène ?


CARINE CORAJOUD D’abord, il a fallu élaguer. Pour ça, nous avons choisi de privilégier les témoignages subjectifs sur l’affaire. Si l’intrigue du film est constituée de regards sur l’événement – ceux de la famille, de l’intéressé, des médias -, elle est essentiellement faite de discours explicatifs et méthodiques, puisqu’il s’agit d’une enquête et d’un procès. C’est un matériau qui offre peu de jeu aux comédiens. Nous avons dû trouver une efficacité dramatique en créant du vide.


EC Du vide ?


CC C’est-à-dire un espace de jeu : par un simple geste, un comédien peut exprimer beaucoup plus qu’un long discours. L’autre difficulté de l’adaptation vient de l’aspect séquentiel du film. Il a été pensé par épisodes, comme un polar . Rien que pour le premier épisode, j’ai compté une vingtaine de scènes. Impossible au théâtre ! Il faut densifier les scènes, les regrouper, imaginer un nouveau montage, un nouveau rythme. J'ai réécrit les dialogues pour m’approcher d'une langue parlée plus di recte et percutante, plus souple.


EC Qu'avez-vous choisi de souligner dans cette adaptation et comment ?


CC La dimension anthropologique du film. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas tant l’histoire singulière de l’accusé que son caractère général . On ne fait pas un théâtre documentaire. D’emblée, on savait qu’on se détacherait du fait divers, de son côté spectaculaire et fascinant. Le théâtre n’aura jamais le talent du cinéma pour réaliser un thriller . En revanche, le film soulève une énigme… des énigmes : qu’est-ce que la justice ? Qu’est -ce que la vérité ? Et surtout : qu’est-ce que l’identité ? Ici, on voit un homme endosser une multitude d’identités et finir par n’exister que par le regard des autres. En plus, le procès ne résout pas le drame qui s'est déroulé. L’adaptation théâtrale accentue ce vertige, ce flou : par moments, on délaisse les relations de cause à effet au profit d'associations d’idées. On cherche un pendant à la surenchère explicative de l'enquête. Je crois que si les faits divers envahissent tant les médias aujourd’hui , au-delà de l'impact commercial, c’est parce qu’ils touchent une peur fondamentale : la peur de la mort. Soupçons renvoie chacun de nous à sa propre morale, à son intimité. D’où notre envie de privilégier les points de vue exprimés sur cette affaire et d’y amener une délicatesse et une poésie, en introduisant très librement de nouveaux éléments.

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