theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Soupçons »

Soupçons

mise en scène Dorian Rossel

: « La vérité n'intéresse personne »

Entretien avec Dorian Rossel et Delphile Lanza

Propos recueillis par Carine Corajoud


C’est à partir du plateau que Dorian Rossel échafaude ses spectacles, c’est de lui qu’il tire leur force. Avec sa magnifique équipe de comédiens, il élabore un univers inventif, poétique, aux intuitions scéniques ludiques et généreuses. Il présente cette saison l’adaptation de Soupçons, un documentaire de Jean-Xavier de Les rade, qui relate le procès d’un riche romancier américain, accusé du meurtre de sa femme.
Au-delà du fait divers, alors que la vérité sur le drame n'a pas pu être établie, ce sont les limites de notre appréhension du monde qui interpellent l’artiste. Il nous livre ses réflexions en compagnie de Delphine Lanza, collaboratrice artistique et comédienne sur la plupart de ses productions.


CARINE CORAJOUD Qu’est-ce qui vous a fait choisir ce documentaire?


DORIAN ROSSEL Nous avions d’abord prévu de monter un texte de théâtre. Mais en revisionnant Soupçons, nous nous sommes rendu compte que le film aborde des thématiques centrales dans notre travail : la construction de la pensée, la réalité comme une multiplicité de points de vue, la fragilité de nos identités et de nos certitudes. Il montre combien notre individualité varie en fonction de critères qui nous sont extérieurs.


DELPHINE LANZA Pour ma part , j’ai été troublée par la manière dont les choses se déroulent dans ce procès, la place de l’humain dans un système comme celui-ci. Je me suis aperçu que le film ouvre sur des sujets beaucoup plus vastes que le simple fait divers, qu’il remet en question mes convictions profondes. C'est en fait un plaidoyer contre le simplisme et les préjugés. Jean-Xavier de Lestrade montre avec finesse les abus de la machinerie judiciaire et la manipulation des images, notamment télévisuelles. Il dénonce la violence latente, diffuse, de nos systèmes, qui possèdent des armes puissantes pour détruire des individus. D’où, selon moi, un besoin redoublé de l’art, de la culture et de l’éducation, comme forces de résistance.


CC C’est donc un travail sur la relativi té de nos croyances et sur la part d’illusion qui fonde notre vie ?


DR Oui, sur comment nos peurs construisent nos croyances. Une phrase-clé du film : « La vérité est aux oubliettes, elle n'a plus d'importance. Tout ça est devenu du spectacle ». Pour l 'accusation et la défense, l'essentiel est de gagner , peu importe les moyens. Avec humour, nous voulions appeler le spectacle : « La vérité n' intéresse personne ». L’accusation, de son côté, commence sa plaidoirie en disant que, dans ce drame, tout est affaire de faux-semblants et d’apparences. C'est un matériau très théâtral: les protagonistes se mettent en scène dans les médias, répètent leurs discours, se donnent en spectacle devant les jurés. Au-delà du combat judiciaire se trament des luttes de pouvoir et une confrontation idéologique entre des visions du monde opposées et irréductibles.


CC Voyez-vous une continuité thématique avec Quartier lointain, notamment dans l’idée que l’existence peut basculer du jour au lendemain ?


DL La vraie question est celle des rôles que les individus sont amenés à jouer . Dans Quartier lointain, c’était un père qui n’arrivai t pas à s’affirmer comme tel, un homme qui se mentait à lui-même et qui en prenait conscience. Dans Soupçons, c’est le contraire : cet homme répond à l 'image archétypale du père, mais cette figure est progressivement malmenée, puisque le doute est semé autour de sa personne.


DR Dans Quartier lointain, le protagoniste comprenait qu’il avait fondé ses croyances sur une illusion vis-à-vis de son propre père. Ici , nous sommes les témoins d’une famille qui essaie de sauver la peau de sa figure paternelle, dont l’image est dégradée publiquement. Si l 'on dissèque les faits et gestes d'une personne, on trouve incontestablement des zones d'ombre dans sa vie. Cet te histoire bouscule nos certitudes et nous voudrions que les spectateurs soient dans le même trouble, qu’ils s’interrogent sur leur propre vision des choses.


CC Pourquoi vous confronter à des oeuvres non théâtrales, comme la bande dessinée ou le cinéma ?


DR Je ne suis pas un spécialiste de la bande dessinée ni du documentaire, c’est avant tout une recherche sur le langage qui m’intéresse, sur la façon de faire apparaître l’invisible. L’écriture scénique, pour moi, au-delà des mots, c'est une structure sensible, une organisation du temps, des images, des corps pour que « quelque chose se passe ». Après avoir traité l’image dans Quartier lointain, nous voulions traiter la parole. Nous savions qu’au théâtre nous serions dans un déficit d’images par rapport au film. Par contre, nous insistons sur les discours des protagonistes et c'est cette prise de parole directe devant le public qui contient une forte théâtralité.


CC Un des signes distinctifs de la compagnie est de collaborer fidèlement avec la même équipe de comédiens et de créateurs. Elle travail le aussi sur le long terme par des sessions de recherche. Quel est l’intérêt de cet te démarche ?


DR Je suis avant tout attentif à une qualité d’écoute et à une disponibilité. Pour sortir de nos habitudes et explorer des pistes qui nous sont inconnues, il faut prendre le temps et établi r une confiance avec l'équipe. Les sessions de recherche permettent aussi un aller-retour entre le travail de plateau et l'adaptation du texte.


DL Comme actrice, il est indispensable d’avoir du temps, car sinon nous ne faisons qu'utiliser notre savoir -faire, c’est-à-dire que nous reproduisons ce que nous connaissons déjà. Pour être vraiment créateurs, nous devons sortir d’une logique de productivité, d’efficacité immédiate. Nous recherchons des actrices et des acteurs prêts à se lancer dans cette démarche.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.