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Monologue sans titre

+ d'infos sur le texte de Daniel Keene traduit par Séverine Magois
mise en scène Hervé Guilloteau

: Notes de travail

J’ai demandé à Tanguy Bordage de jouer Matthew. Sur scène, il dégage une forte impression mais c’est surtout quelqu’un qui a croisé des types comme ça.
Peut-­être qu’il est lui même un peu comme ça. Après la lecture du texte, il me confie qu’enfant, à la campagne, il s’est senti exclu parce que son père était écrivain. Pauvre crotte je dis connement.


Nos premières séances de travail confirment mes choix.
J’explique à Tanguy que le style littéraire auquel nous avons à faire – la correspondance – impose en soi une scénographie du jeu. L’acteur ne doit pas essayer de « parler » une lettre ou de rendre réaliste ce mode d’expression. Par courrier, on ne livre pas des faits et des sentiments comme on raconte de visu quelque chose à quelqu’un. Restituer le contenu d’une lettre sur scène oblige l’acteur à une certaine forme de tension, de précision et de rythme. Le personnage est un paragraphe, un alinéa, un point. Il vit la situation de quelqu’un qui veut écrire quelque chose, qui ose l’écrire, qui poursuit ou s’arrête. Dans un contexte qui le rend heureux ou malheureux. En pleine conscience que le public l’écoute et le voit.
C’est important que nous partagions ce point de vue avant de grimper au rideau.


J’ai constitué une équipe réduite mais solide, investi dans un bon micro, du carton, du scotch et un cutter. Nous testons un volume que j’ai imaginé en avant scène. Intéressant au début nul au bout d’une heure. La permanence de l’objet est mortifère et s’en dégage une symbolique tout à fait niaise. J’étais pourtant certain que ça fonctionnerait. Des convictions profondes, seuls en ont les êtres superficiels disait Pesoa.
Avec un plaisir non dissimulé, Guillaume (musique) entreprend la destruction du décor à pieds joints et nous abordons de nouveau le sujet avec le vide du plateau et quelques accessoires tels un sachet de Carambar ou un distributeur de Sopalin.
L’expérience du temps est essentiel dans la fabrication du spectacle. Autour de la question du décor, nous organisons de nouveaux ateliers d’éveil. Nous manions le carton avec de plus en plus d’efficacité et de talent. Et puis j’ai soudainement envie d’un truc plus trash sexy genre piste de karting avec une bagnole en vrai. Nous faisons appel à une entreprise et un sponsor et tout le tintouin pour finalement nous rendre chez Castorama acheter quatre plaques de placoplâtre premier prix qui composeront le sol.


Au fil du travail, naissent des choses tout à fait passionnantes et inattendues. C’est fait pour.
Souvent sur le plateau à proximité de Tanguy, j’ai envie de formaliser la présence du père à qui le môme adresse ses lettres. Un courrier sans réponse. Salaud ? Pourquoi ?!! Après tout Bambi s’est sauvé tout seul. Nous ne sommes pas tous d’accord sur le cas Bambi.
Ce n’est pas écrit mais j’imagine quatre moments où la silhouette du père de Matthew vient suspendre le cours du récit. Des sortes d’évocations de leur passé commun. Moments de la vie de ces deux hommes avant. Matthew en larmes la nuit de Noël. Matthew découvre son zizi. Un soir d’été sous la véranda. Que dites-­vous d’une partie d’Hippo Gloutons entre le père et le fils ?
Seul, je crois que c’est costaud d’élever un enfant.
Thierry (lumière) a un avis très précis sur le traitement de ces instants.


Dans ce qui pourrait ressembler à un commissariat, Tanguy/Matthew avoue. Il a rencontré une fille dans un bar. Elle lui a demandé une clope et il l’a frappée.
Where have you been ? de Rihanna convient parfaitement à la situation. Adopté.
Premiers essais costumes. Je redoutais les t-­shirts avec des Johnny ou des chiens loups. On partage le même avis. Chemise, col en v bordeaux, pantalon de toile blanc et baskets de marque. On ajoutera juste un appareil dentaire très discret et une montre à quartz.
Tanguy est très touchant. Il a abordé ce passage du texte avec beaucoup de pudeur et de simplicité. J’ai le sentiment qu’il va conduire le personnage vers un endroit que je n’avais pas envisagé. Dans sa chute, Matthew est à la fois de plus en plus fou et lucide. Au moins il est en train d’apprendre quelque chose.

Hervé Guilloteau

avril 2013

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