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L'Otage / Le Pain dur

mise en scène Thomas Condemine
Création à partir des textes L'Otage de Paul Claudel, Le Pain dur de Paul Claudel,

: Scénographie / Costumes

« Tout va se passer en spectacle aux hommes et aux anges » Quand je travaille à la scénographie de L’OTAGE et du PAIN DUR, c’est ce verset qui tourne en boucle dans mon esprit. Comment faire pour qu’au moment où il sera prononcé, il y ait quelque chose dans l’air qui donne la force de l’évidence à ces quelques mots de Coûfontaine ? Le public doit pouvoir partager avec l’acteur non seulement la sensation d’un présent très réel, très simple (« tout va se passer en spectacle aux hommes…), mais aussi la conscience que ce présent-là est tout relatif et fragile, une infime partie de la grande Histoire, plus large, infinie (…et aux anges. »). Il faut que les acteurs soient projetés dans l’arène grandiose de l’Histoire, mais aussi qu’ils aient à composer avec un présent imparfait et fragile.


Le lieu unique que nous propose Claudel pour les deux drames est porteur de cette dualité. Chacun des éléments qui constituent l’espace est chargé de l’Histoire et nous ouvre la porte du rêve, de l’infini (La bibliothèque de l’Abbaye des moines cisterciens de Coûfontaîne, une pastorale, un crucifix d’aspect farouche et mutilé). Mais l’espace dans sa globalité, malgré la puissance que lui donne l’Histoire, demeure fragile et instable : les murs blanchis à la chaux datent du Moyen-Âge et les meubles, la décoration, de l’Ancien Régime ; le christ de bronze a été refondu et la pastorale est déchirée. C’est un espace recomposé. Et il y a dans l’agencement de tout ce mobilier historique, quelque chose d’imparfait, une fragilité toute humaine…Et pour cause —nous l’apprendrons dès la première scène : cet espace est le refuge que Sygne s’est construit pour se protéger de ce monde nouveau qu’elle ne comprend pas; un refuge chargé de l’héritage du passé qui la rassure. Je pense souvent au musée des Arts et Métiers quand j’imagine l’espace de L’OTAGE et du PAIN DUR : c’est un lieu où la présence humaine et le poids de l’Histoire se mélangent pour créer une vibration poétique étrangement mélancolique. Un être vivant déambule au milieu des échafaudages en métal brillant pour admirer les premiers rouages mécaniques rouillés et l’avion de Blériot aux ailes de tissu défraîchi… Dans un tel espace, la vibration d’un présent en train de s’inscrire dans l’Histoire collective nous saisit et ce, même sans rien savoir des objets entreposés. Car cette sensation n’a rien à voir avec la compréhension ou l’intelligence ; elle vient, à mon sens, de la coexistence, dans un même espace, d’une présence humaine avec des objets de différentes textures et époques.


Pour que le spectateur et les acteurs se retrouvent dans le refuge de Sygne, il n’y a, à mon sens, pas besoin de construire les murs de l’Abbaye en trompe-l’oeil. Il est tout à fait possible de créer une sorte d’espace-musée en se servant des murs du théâtre, porteurs de l’histoire des spectacles qu’ils ont vu passer. C’est au texte, aux acteurs et à notre imaginaire de faire exister l’Abbaye. Dans cet espace en dur, réel et vide, ce sont les différentes textures et époques des meubles et accessoires, leur organisation dans l’espace mais surtout la façon dont les acteurs les feront exister qui nous transportera dans le refuge de Sygne.


Car si l’espace de L’OTAGE et du PAIN DUR est unique, il n’en est pas moins changeant tout au long des deux pièces. Et ce sont bien les personnages qui par leurs incursions dans l’espace-musée, n’auront de cesse de le modifier, de le réinventer : chaque scène a son propre dispositif. Ce qui constitue une piste extraordinaire pour la mise en scène, c’est la façon dont Claudel associe ses personnages à la dynamique de son espace : les didascalies d’espace sont plus spectaculaires les unes que les autres (« une porte qui s’ouvre sans que l’on voit personne, sifflement du vent » pour l’entrée de Coûfontaine, « soudain un panneau de la bibliothèque s’écarte, découvrant pendant un moment l’ouverture d’une porte secrète » pour l’entrée du Pape…). Il y a, dans ces didascalies, un petit côté « roulement de tambour » qui confère aux personnages cette sorte de brio qu’on donne aux héros de notre enfance. Ce brio avec lequel ils interagissent avec l’espace est une marque supplémentaire de l’immense fierté dans la lutte qui les caractérise – la corrida n’est jamais loin. Mais ce brio, c’est aussi dans les moments les plus tragiques, une posture dans laquelle ils se réfugient pour gagner du temps sur le trouble qui les traverse, comme des enfants qui feraient mine de continuer à jouer pour ne pas entendre.


Ce lien intime qui relie les personnages à l’espace, j’ai envie de le remettre entre les mains des acteurs. Il est important qu’ils puissent agir concrètement sur l’espace, que l’espace procède de la mise en jeu. Autrement dit certains éléments du mobilier ou de la décoration devront, par l’action des acteurs, faire leur « entrée » (ou leur « sortie ») au moment opportun. Puisqu’il s’agit pour les personnages d’influer sur la grande Histoire dans cet espace-musée, il me semble à la fois amusant et beau d’imaginer que des actions quotidiennes, comme fermer une porte ou déplacer une chaise, puissent devenir des actions grandioses, lourdes de conséquences. Pour trouver une façon à la fois spectaculaire et enfantine de mettre en oeuvre cette idée, j’ai imaginé une manipulation du mobilier par les acteurs qui passerait (ou qui aurait l’air de passer) par des mécanismes anciens, de ceux qu’on trouve dans les vieux jouets ou dans les horloges : un mélange de rouages brillants, de manivelles, de guindes et de courroies.


Si je veux emprunter à la grande Histoire certains éléments de son esthétique (mobiliers, éléments de décoration, mécanismes archaïques), la mise en jeu de ces éléments, elle, sera tout ce qu’il y a de plus actuelle et présente. Il en va de même pour les costumes : nous utiliserons des éléments de costume d’époque (autant que possible chargés de broderies de fil d’or pour évoquer la corrida, la vanité des rêves de gloire) mais là aussi, les acteurs devront s’en saisir à vue. Je précise que donner à l’acteur un tel pouvoir d’action sur la marche du spectacle n’est pas qu’une idée de mise en scène : monter L’OTAGE et LE PAIN DUR de cette façon, c’est une manière d’affirmer que l’être humain, même s’il a aujourd’hui des tas de raisons de l’oublier ou de ne plus y croire, est bel et bien maître de son Histoire ; qu’il a la force de la construire et qu’il en est responsable.

Thomas Condemine

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