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L'Otage / Le Pain dur

mise en scène Thomas Condemine
Création à partir des textes L'Otage de Paul Claudel, Le Pain dur de Paul Claudel,

: Note d'intention

Drôle de ménage ! Ainsi s’exclame la vierge folle de Rimbaud dans son délire pour qualifier l’étrange lien qui l’unit à l’époux infernal. Et la vierge folle d’ajouter : Plusieurs nuits, son démon me saisissant, nous nous roulions, je luttais avec lui! Quand j'essaie de mettre des mots sur le génie de Claudel, c'est souvent ce drôle de ménage qui me vient à l'esprit. Car c’est d’une lutte intérieure de ce genre que sont nés ses premiers drames : drames du Claudel-catholique en lutte avec le Claudel-poète. Le catholique voulant anéantir une part sauvage et animale de lui-même dont le poète ne peut que peindre toute la force et la beauté.


C’est un peu comme si en écrivant ses premiers drames, il mettait sur scène la corrida qui fait rage en son sein. Le voilà armé de toute son intelligence, en costume de lumière, face à un taureau imaginaire : sa propre rage, son animalité. Une lutte tragique et grotesque s’engage où chacun dans sa ferveur au combat poussera l’autre dans ses limites magnifiques.


Mais Claudel lui-même dira que L’Otage et Le Pain Dur constituent une étape décisive de son oeuvre. C’est âgé de 40 ans qu’il entame la conception de la première des deux pièces : il s’ouvre au monde, à la « vaste action extérieure » écrit-il. Claudel est désormais capable d’inscrire ses déchirements intérieurs dans une pensée du monde plus globale. Ainsi, son drame intérieur individuel, s’il est toujours présent dans les deux pièces, est désormais l’ingrédient d’un drame plus grand : un drame de l’Humanité. Si Claudel est toujours poussé à l’écriture par sa corrida intérieure, il a maintenant trouvé l’arène capable de la contenir, celle qui lui manquait pour partager pleinement sa bataille avec nous. Et cette arène c’est notre Histoire, et plus particulièrement cette période réactionnaire qui commence aux lendemains de la révolution de 89 et que le Printemps des Peuples de 1848 achèvera : la Restauration. Une période qui appartient à l’autre histoire de France : non pas celle qui a vu se succéder les philosophes des Lumières, la Révolution française, Juin 1848, la Commune de Paris, le Front populaire, la Résistance, la Libération et Mai 68 ; mais celle d’une France réactionnaire qui a connu la Restauration de 1815, les Versaillais, l’Union sacrée pendant la guerre de 14 (période de l’écriture de L’Otage), Pétain, les guerres coloniales, et aussi l’état de crise dans lequel nous vivons depuis quelques années.


Mais celui qui préfèrera toute sa vie être « l’homme de la banquette avant plutôt que l’homme de la banquette arrière », ne se contente pas d’un constat d’échec ; il regarde cette époque terrible de notre histoire avec les yeux passionnés du révolutionnaire ; il est confiant, tourné vers l’avenir.


Dans L’Otage, en faisant de nous les témoins des derniers instants de la lutte révolutionnaire qui a commencé en 1789, il nous fait sentir combien elle a été vitale et décisive. Dans Le Pain Dur, il nous montre comment après une longue traversée du désert, la génération suivante fait renaître de ses cendres l’esprit révolutionnaire et donne le coup d’envoi au Printemps des Peuples de 1848. Avec son théâtre, Claudel nous rappelle que nous ne sommes pas seuls aujourd’hui, dans cette étape difficile de notre Histoire, à sentir brûler en nous un feu révolutionnaire.


Et ce feu, qui est peut-être précisément ce qu’il y a en nous de meilleur et de plus profond, il nous exhorte à l'attiser pour ne jamais le laisser s'éteindre. Il ouvre le placard de ses premiers drames, en sort ses personnages poussiéreux et magnifiques, remplis de désirs et d’idéaux, et les expose à ce monde réactionnaire. Il les habille de costumes de lumière étriqués (les spécialistes s’accordent à dire que jamais les costumes n’ont été si chargés de broderies de fil d’or que sous l’Empire et la Restauration), il les jette dans l’arène de l’histoire et les fait parader au son des marches impériales cuivrées. Les voilà à la merci des tumultes propres aux changements de régime, ces toreros magnifiques et ridicules ! Ils sont là comme on nait dans une époque qu’on n'a pas choisie. Ils devront donner à voir leur bataille intérieure, pour trouver leur place dans le monde. Elle ne se fera qu'au terme d'une lutte entre leur raison et leurs désirs destructeurs, leur soif de conquête.


Les versets claudéliens participent à la folie de ce spectacle étrange : leurs superbes envolées lyriques remettent sur pieds les toreros qui sont tombés, les arrachant au sol poussiéreux ; mais parfois l’arythmie ou la sécheresse du verset crée le déséquilibre ou la tétanie au moment crucial : c’est la catastrophe. C’est si sérieux et désespéré que ça en devient grotesque. Le rire qui s’échappe de nous à la vue de cette lutte étrange laisse place à des larmes de celles que seuls les clowns savent nous en faire verser.


« Les toreros, dit Orson Welles, sont des acteurs à qui il arrive de vraies choses ». C’est ce que les comédiens vont s’amuser à faire. Ils vont sous nos yeux créer un monde spectaculaire, théâtralement historique, dans lequel il leur arrivera de « vraies choses ». Je pense qu’en assemblant un XIXème siècle réinventé et la pureté d’un rire ou d’une fêlure toute présente, nous pourrons toucher à quelque chose d’intemporel. Une chose qui, c’est certain, au moment du partage avec le public, deviendra inestimable.

Thomas Condemine

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