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: Extraits

J’ai toujours aimé les Noirs.
Le noir, couleur du mystère, s’inscrit dans l’ombre de toutes choses et les pénètre comme un philtre, les ramenant à la grande nuit des origines. La race noire est bénie, elle exalte sur le poli de ses corps de basalte le renoncement à la lumière et la chaleur nocturne où toutes les souffrances viennent s’anéantir.
La couleur noire n’existe pas.
La puissance de sa négation confond toutes les existences et les absorbe en elle plus sûrement que le jour.
Moi, je suis de race gitane. J’aime la nuit et son haleine invisible qui donne à l’univers son espace sans limites. A six ans, on m’assit sur les genoux d’un infirmier noir, dans un hôpital d’Alexandrie. Un médecin allemand m’enleva une partie des amygdales sous une légère anesthésie. Le visage du Noir immobile scintillait au-dessus de sa blouse blanche et la grande douceur de ses mains posées sur moi m’enleva la douleur.
Mon premier amant noir, je ne l’ai connu qu’à vingt-sept ans, dans cette ville maudite où l’enseignement d’un prophète impuissant a desséché les esprits et les sexes, et faussé l’amour jusqu’à en faire une parodie mécanique et obscène privée de passion : ce qu’on nomme « érotisme » dans notre Europe dégénérée.
A trente-deux ans, je me suis enfuie de cette ville frigide avec un autre Noir, un fou que j’avais tiré d’une clinique psychiatrique, et mes deux enfants illégitimes arrachés aux griffes d’une tutelle. Je partais, je rejoignais le grand troupeau des nomades en transhumance, et dans le taxi qui nous emportait, je voyais le crâne énorme du Noir se détacher sur l’orange du soleil couchant comme un phallus. C’était l’obscurcissement préfiguré de toute ma vie. Le Noir, le Noir sacré s’emparait du soleil et me plongeait dans les entrailles de la nuit pour toujours.




Je suis encore sous l’emprise du rêve que nous avons fait ensemble.
Vous direz que je suis folle. Tant mieux. Si j’étais vraiment folle un jour (un vieux désir de toujours), je pourrais enfin être moi, me déchaîner dans un asile, déchiqueter les gens et les choses, tuer, assassiner le directeur, tout casser, mettre le feu, faire une grande révolte avec les autres fous, attacher tous les chefs et les poignarder avec des barreaux de chaise et de cachots, les laisser crever lentement dans leur sang en les arrosant au vinaigre, enfin le grand délire sadique, Auschwitz et Arrabal mélangés…
Mais il faut que je vous raconte (avant que tous les flocons du rêve soient envolés de ma mémoire)
Dans ce rêve, je vous aimais. J’étais assise à côté de vous dans une voiture, inondée de larmes. Vous aviez un geste très beau- comme j’avais les mains sur mes yeux pour cacher mes larmes, vous souleviez très délicatement mes cheveux pour les essorer…et vous me parliez, vous me disiez de ces choses très banales et horriblement cruelles que disent les amants pour se débarrasser d’une femme qu’ils n’aiment plus ou n’ont jamais aimée.
Je pleurais de toute mon âme, comme on pleure dans les grands chagrins d’amour, et en même temps, je me disais : « Comment peut-il me dire des choses aussi bêtes, aussi affreuses, il ferait mieux de ne rien dire du tout, ou alors de m’embrasser s’il en a le courage, et qu’on en finisse, qu’on se quitte proprement. »
Et voilà, je suis réveillée. On ne vit bien que dans la douleur, pour se laver avant les joies, et préparer le terrain pour de grands bonheurs sauvages.




Je bois un petit verre de rhum du Gros-Robert…
LE GROS ROBERT –home énorme, adorable, malade depuis des années –le seul à qui je permets d’utiliser mon bidet –(m’a déjà assassiné, par son poids, un lit et un fauteuil !!!) Faire attention que ses ulcères soient pansés ou fermés (sinon ce sont des lacs de sang) –sucer, parler, boire du whisky (m’en apporte souvent lui-même) (se branle à l’occasion), 100 Frs. Ne pas brusquer, reste jusqu’à une heure, très spirituel.




Encore un spectacle sur La Passe Imaginaire ! Ces actrices de théâtre (et de cinéma) sont enragées à jouer les Putes ! C’est affolant, irrémédiable. Rien ne les arrête. C’est en même temps un honneur qu’on nous rend, et une insulte, une effroyable trahison.
Qu’est-ce qu’elles risquent ? Elles, rien. On les applaudit, on les admire, on les envie même. Oh, mais quel courage ! quel talent ! S’identifier sur une scène, glorieusement, à ces misérables créatures tirées de leur boue qu’on exhibe ornées de paillettes et de fanfreluches, qu’on époussette, dorées sur tranche par le jeu de ces sublimes actrices, qui, elles, ne se sont jamais prostituées, n’ont jamais subi les insultes, les menaces de la police, la prison, les amendes ! Un peu facile tout de même Mesdames. Et que si on leur présentait une queue bien raide, bien puante, à lécher très soigneusement, à s’enfiler au fond de la gorge pour en recracher ensuite, si possible (car il y a toujours des bavures) le jus tiède et gluant, pour 50 francs suisses, il n’y aurait plus personne. Ah, la sinistre imposture ! A nous les coups de matraque, les viols dans les commissariats, les crachats, les coups de pied au cul, les flétrissures administratives ! aux grandes Actrices la gloire, les brassées de fleurs !
Ah, merde. C’est pourquoi je nourris en secret, dans l’ombre de mon coeur, de mes tripes et de mon cerveau, même affaiblis, endommagés par la chimiothérapie, un projet fantastique, un dernier outrage aux bonne moeurs, à l’art, à la littérature.
Un jour, je monterai moi-même sur une scène, n’importe laquelle, un escabeau dans un parc, quelques planches dans la rue, une place publique, ou pourquoi pas devant un rideau de velours rouge d’un grand Opéra (les Folies Bergères peut être, ou la Porte Saint Martin) et je jouerai, je mimerai, je déclamerai mon propre rôle avec toutes les nuances, les gestes, les soupirs, les cris, les rires, les gémissements, les silences, tout en vrai, en nature, en « live », mais avec subtilité, tout en suggestions, en effets de miroirs, en poses délicates.
Oui ! Ca, faire ça avant de crever, de tirer sa dernière révérence, en beauté, en folie, en cruauté, en caresses simulées, volées, travesties, mais foudroyante de vérité !
Une vraie Pute, faisant la Pute, dans un VRAI théâtre ! Ah, quel bonheur, quelle volupté, quelle vengeance ! Mettre enfin K.O tous ces mythes, ces faux-semblants, ces artifices synthétiques ! C’est trop beau.
Pourquoi se gêner, je vous le demande. Est-ce qu’on nous épargne, nous ?




Je pense qu’on peut être une Reine tzigane à tout âge, il suffit de l’être, et d’en avoir la démarche, le regard, la voix. Ne pas se fermer, s’aigrir, ne juger personne, AIMER.
ETRE. D’arrache-pied, d’arrache-coeur, s’arrache-âme. D’arrache-cul aussi, bien entendu.




En ce moment même j’ai des douleurs violentes dans le ventre malgré la morphine qu’on vient de m’injecter, je ne veux pas me RENDRE. Ce n’est pas du courage, non, c’est l’Amour de la Folie de Vivre, du Printemps, du Sang qui bat, encore.
Il faut suivre ses instincts, l’intelligence n’a rien à voir.
Je fais partie d’un tout. On ne peut pas trahir.
Quelle chance j’ai d’être encore là, vivante, frémissante, habitée par un espoir fou qui reste le seul, le vrai.
Peu importe qu’on soit homme, femme, ou cheval…il faut « bander »,danser, s’amalgamer aux violences primitives de la Nature, et de ses impératifs VIERGES.
Oui, je suis très heureuse en ce moment d’extase et de grâce. Oui, très heureuse…on trouve du bonheur partout, et surtout sans le chercher !
Une magnifique pivoine blanche déploie ses jupes, trop loin de moi pour me livrer son parfum…
Je ne veux plus m’encombrer de rien de superflu, vous savez.
Oh, j’ai très mal, peu importe…ça passera, comme le reste.


Ces textes sont extraits de plusieurs sources toutes écrites par Grisélidis Réal

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