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Gólgota picnic

+ d'infos sur le texte de Rodrigo García
mise en scène Rodrigo García

: Entretien réalisé par le théâtre Garonne

Propos recueillis par Marie Brieulé

Comme dans ton écriture, il y a des idées « jetées » sur le plateau de Gólgota Picnic, sans qu’elles visent à construire quelque chose qui nous mène d’un point A à un point B. Le spectateur se retrouve simplement face à une vision poétique ou choquante de la réalité. L’art est-il fait avant tout pour questionner ?


Je crois que l’art est un acte égoïste, mais les artistes ne le reconnaissent pas, ne veulent pas le dire. Ils disent toujours que c’est un acte social, etc. Je crois que ce n’est pas vrai, finalement, ce que je fais est un acte d’égoïsme, c’est moi qui veut raconter cette chose-là, qui ait ces rêves, qui veut les matérialiser, et ça c’est un acte égocentrique et abject ! (rire) ; au final c’est égocentrique et abject, mais les artistes ne veulent pas le reconnaître, ils mentent.


Tu as pourtant dit croire en une oeuvre artistique qui bouleverse celui qui la reçoit…


C’est vrai que l’égocentrisme, dans des cas exceptionnels, chez de grands artistes, pas chez moi, je pense à Tadeusz Kantor, Pina Bausch,… produit un travail utile et qui peut faire du bien à beaucoup d’individus. Le mien non ! Je fais partie de la masse, de l’autre catégorie d’artistes.
Non, en réalité c’est très subjectif. Il y a des gens qui vont trouver ça intéressant et utile pour eux-mêmes, et d’autres pour qui ce sera complètement stupide…


Le texte de Gólgota Picnic est sombre. La création chez toi s’accompagne-t-elle d’une certaine rage ?


Je crois que la base de mon travail est la mélancolie. Mais je l’occulte, j’essaie de faire en sorte qu’elle ne se voie pas, parce qu’elle ne me paraît pas intéressante à montrer au théâtre. Il me semble que ça ne fonctionnerait pas. Alors j’essaie de la déguiser. Apparaissent des moments de rage, d’humour, mais dans le fond il y a une attitude mélancolique, un manque de confiance en l’homme et son système social. Mais quand tu fais une oeuvre d’art c’est pour faire quelque chose de positif. Il faut donc dans ces moments-là avoir un minimum de confiance en certains actes, même si l’on agit à partir d’une tristesse ou d’une mélancolie.


Tu dis traiter le sujet de la mort d’une manière positive…


Ce qui est important c’est de vivre avec la mort, qui est la seule fin dont tu es certain. L’unique chose que tu sais est que tu vas mourir. Ça me parait bien de ne pas la nier, et donc de l’avoir en tête. Je ne me rappelle pas très bien du texte à l’instant et de ces passages sombres ?


Au fil de la lecture, il n’y a aucun espoir, l’Histoire se répète, tout se fissure et les destructions n’en finissent pas. Et surtout il y a cette omniprésence de la solitude…


C’est que réellement je le pense. Je ne crois pas aux relations humaines, en ce qu’on appelle l’amour et j’ai une conscience très claire de ce que la mort se vit seul ; tu meurs seul et tous ceux qui t’accompagnent sur le chemin de la mort, tes enfants, tes parents, tes amis, sont pour moi comme des ombres, de la fumée, des choses qui n’existent pas réellement. Ce qui existe c’est la certitude de la mort, le fait que tu vas mourir. Mais moi je profite de ces ombres, je peux profiter de ce chemin. On peut profiter de ce chemin. On peut apprendre à profiter un peu. Je pense, je doute, parce qu’il y a toujours un moment où revient la solitude et où tu comprends que tu es seul. Je suis convaincu qu’on est seul dans ce monde. Comme les animaux.
Tu peux profiter de tout ça mais en sachant que ce sont les distractions de l’unique réalité qui est ta solitude… C’est vrai que ce n’est pas très joyeux (rire).


Peux-tu commenter cette injonction « fuyez-vous les uns les autres », tirée du texte ?


Je crois profondément en l’égoïsme, l’égocentrisme, et que les relations entre les personnes sont impossibles, je vois que ce n’est pas possible et c’est pourquoi je dis « fuyez-vous les uns les autres » ; les relations sont toujours intéressées. Parfois il s’agit d’intérêts économiques, affectifs, parfois ce sont des moments de solitude. Cette phrase est aussi une parodie, un détournement de « aimez-vous les uns les autres ». Il y a de nombreuses références à la Bible, qui me plait beaucoup en tant que livre, avec une belle poésie, des écrits magnifiques, très utopiques, absurdes, fous, impressionnants, terribles. Et ce « aimez-vous les uns les autres », de manière désintéressée, on sait que ça n’existe pas, que ce n’est pas réel, alors « fuyez-vous les uns les autres » me paraissait être une parodie amusante.
Cette phrase attire beaucoup d’attention, sûrement parce que tout le monde pense la même chose mais personne n’ose le dire ! (rire)


Peux-tu nous parler du thème du langage ?


Le langage est un miracle. Grâce au langage, tu sais que tu vas mourir. Les animaux, sans le langage, ne le savent pas. Et c’est mon travail d’écrire. Le langage est mon outil de travail ; une matière qu’il faut perfectionner pour trouver la forme juste de s’exprimer. Et en même temps le langage est un mensonge, parce que ces briques (mur du Garonne NDLR) ne sont pas des briques, ce sont des existences en soi, qui n’ont pas besoin d’avoir un nom pour exister. Mais nous leur donnons un nom pour pouvoir parler d’elles. Et c’est un mensonge de nommer les choses. La pièce est pleine de réflexions sur le langage.


Comment la peinture a-t-elle accompagné la création de la pièce ?


Elle m’accompagne dans toute ma vie. Elle m’accompagne toujours. Je fais d’ailleurs la pièce pour me défaire de toute cette folie. C’est que j’adore la peinture classique. Tant d’années à aller aux musées, à voyager spécialement pour voir des peintures, partout, à Milan, à Rome, à Anvers, tel peintre, telle oeuvre, à la pinacothèque classique. Il y a tant de choses, et tant d’envie d’utiliser la peinture que cette oeuvre m’a semblée être une bonne excuse. Elle parle du Christ, et nous avons tant d’iconographie sur la religion ! Ça me plaisait d’utiliser ma passion, ma faiblesse pour les peintres de la Renaissance, non seulement les Italiens, mais aussi les Flamands, les Allemands.


Et sur scène ? Au moment de la création, tu composes avec la lumière, la vidéo, les corps, en pensant à ce rendu pictural ?


Sur scène il y a beaucoup de choses qui ont à voir avec la peinture. Il y a la matière, la peinture, qui peut rappeler le body art ou des choses plus anciennes mais peut-être que dans cette pièce elle peut avoir encore une autre dimension. Peu à peu apparaissent des références à des tableaux, des peintures religieuses. Mais j’essaie de le faire de la manière la plus subtile possible. Je pense que je ne le cherche pas à priori. J’ai besoin de demander aux acteurs certaines choses, et le résultat pictural, plastique, apparaît, je crois, par hasard. Je m’intéresse plus à l’acteur, couvert de peinture, à sa façon de bouger, de se déplacer, avec la contrainte de la matière.
C’est sûr qu’il y a un impact visuel, mais ce n’est pas primordial. Je travaille avec un créateur lumière qui fait les lumières de tous mes spectacles, Carlos Marquerie, avec qui je m’entends très bien ; il sait comment éclairer mon théâtre pour lui donner une autre dimension. Et c’est son travail à lui. Je n’interviens jamais sur la lumière de mes spectacles. Il fait réellement ce qu’il veut.


La musique ?


La musique a été un problème, car elle a fait partie de l’oeuvre à partir du moment où j’ai connu Marino Formenti le pianiste, à un festival, par hasard. Nous avons parlé de Haydn pour parler de quelque chose dans le taxi. Nous avons parlé plus particulièrement de cette oeuvre. Mais je ne la connaissais pas. Je me suis rappelé que je l’avais achetée il y a longtemps en cd. Quand je suis rentré je l’ai écoutée, et j’ai trouvé que c’était une oeuvre magnifique. Au début je pensais le faire avec un quatuor à cordes, pas avec un pianiste. Et quand j’ai écouté la version pour piano, ça m’a paru très intéressant. Par la suite ça a été difficile d’inclure la musique à l’oeuvre, très difficile. Nous avons beaucoup répété avec Marino, et un autre pianiste quand il ne pouvait pas venir.
Et images et musique se sont très bien accordées, c’était très beau. Mais ensuite j’ai trouvé ça ridicule parce qu’effectivement c’était beau mais la musique perdait tout son sens. Parce qu’elle devenait une musique de fond au service des images. C’est terrible parce qu’à un moment tu trouves que ça marche et l’instant d’après c’est juste spectaculaire et laid. Alors j’ai décidé d’enlever la musique et de la mettre uniquement à la fin. Elle dure quasiment une heure, c’est un concert de piano à la fin de la représentation.


Avec peu de choses sur le plateau…


Il ne se passe presque rien, seulement deux choses importantes : d’abord le pianiste joue nu, il ôte ses vêtements et se retrouve à poil, et il joue une musique pleine de silences et de fragilité. Il est complètement nu, fragile, tu peux voir son corps, il ressemble à un animal qui jouerait du piano. Et l’autre chose importante c’est ce grand piano à queue, qui s’intègre à un plateau ravagé, parce qu’il y a eu énormément de choses dans cet espace, de destruction, de poubelles, de merdes, et donc il y a ce grand contraste entre ce désastre sur scène et ce grand piano à queue, avec tout ce que peut signifier un piano à queue. Et il y a un temps, ces 50 mn, non seulement pour écouter la musique mais aussi pour se rappeler de l’oeuvre que tu viens de voir. Et je crois que la musique peut aider à faire vivre le souvenir de ce que l’on vient de voir. C’est étrange ; c’est apparemment simple, mais je crois que c’est la forme juste.


Quel lien fais-tu entre tes pièces du début et ces dernières ? Où vas-tu ? Où vont tes besoins, ta manière de créer ?


L’ensemble de mes pièces n’est pas très connu. On ne connaît de mon travail que les huit dernières années, et à l’étranger. Et ça fait vingt-cinq ans que j’écris et fait du théâtre. J’ai fait plus de soixante pièces ! Je crois que mes pièces les plus intéressantes sont les premières. Au début des années 90. Très jeunes, moins réfléchies que celles d’aujourd’hui parce que ce n’est pas la même chose de faire du théâtre à 23 ans et à 47 ans. La profondeur est différente. Par contre il y a une énergie dans mes anciennes pièces qui me plait. Je ne sais pas ce que c’est exactement, j’ai suivi un chemin comme me l’a dicté ma conscience, je n’ai jamais eu d’obstacle politique ou économique. C’est une chance, j’ai toujours pu faire ce que je voulais parce qu’au début, les créations je me les suis payées moi-même. En Espagne, il n’y a pas de subventions pour le théâtre. Excepté pour les théâtres conservateurs ; mais si tu veux faire du théâtre de recherche tu dois te le payer toi-même. J’ai donc travaillé dans une agence de publicité pour payer mes premières pièces. Plus tard quand j’ai commencé à jouer en France, en Suisse, en Allemagne, en Italie, j’ai pu laisser mon travail alimentaire et continuer à faire ce que je voulais. Mais je suis fatigué de faire du théâtre. Je pense à arrêter. J’espère arrêter.


Mais la scène est aussi le lieu de la liberté. Tu parlais de ces artistes qui ont une liberté considérable sur le plateau, qui t’impressionne en tant que spectateur. Es-tu libre sur scène ?


J’ai toujours été libre sur scène. J’ai toujours fait ce que j’ai voulu. Si je n’ai pas pu faire plus, c’est dû à mes propres limites. Et surtout j’ai eu la chance d’être accompagné de personnes très audacieuses avec beaucoup d’envie de vivre, d’exprimer des choses, avec très peu de honte, de tabou, de pudeur. Et cette impudeur est très importante. Se mettre à nu pour dire les choses. Il ne s’agit pas d’être obscène mais de raconter les choses importantes, et d’aller jusqu’au bout, jusqu’aux limites de l’expression. Et ça, ça m’a beaucoup aidé.

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