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Gólgota picnic

+ d'infos sur le texte de Rodrigo García
mise en scène Rodrigo García

: A propos de Haydn / « Le piano est un cercueil »

Les sept dernières paroles. Ou les sept derniers silences ? L’oeuvre musicale de Haydn, écrite en 1786 pour la célébration du vendredi saint à la chapelle de la Santa Cueva de Cadiz est pleine de silences, de pauses, avec de petits mouvements, c’est la musique non dramatique par excellence écrite à une époque où l’on cherchait justement le drame. Une «non-musique, une anti musique, une musique qui renonce aux besoins de divertir que la nouvelle société bourgeoise exige de ses héros musiciens : des effets surprenants, beaucoup de divertissement, des gestes empruntés à l’Opéra, et surtout des aspects drôles et étincelants de l’opéra bouffe. Il n’y a pratiquement rien de cela dans Sieben Letzte Worte, cette oeuvre musicale immense composée de mouvements exclusivement lents et totalement orientée vers sa propre intériorité. Cette musique semble être dans un dialogue constant et radical avec elle-même. (La finalité de la musique n’était pas toujours de se convertir en un sujet théâtral, un drame ou une histoire qu’il serait nécessaire de suivre en retenant sa respiration : les anciennes messes du Quattrocento et du Cinquecento, de Josquin a Palestrina, par exemple, maintiennent avec ses auditeurs un dialogue peut-être plus proche des installations modernes, leur laissant une plus grande liberté pour entrer et sortir de l’oeuvre, au moyen de son corps ou de son attention. A cette époque la musique, l’art, les artistes et les compositeurs étaient encore humbles).


Les silences. L’oeuvre de Haydn est probablement la plus chargée de silences dans l’histoire de la musique : si nombreux, si différents les uns des autres, si déstabilisants. Le silence est, selon les règles strictement codifiées de la rhétorique musicale, la représentation de la mort.


C’est un moment extrêmement prophétique quand Haydn, avec ses silences, avec ses gestes minimaux et muets, s’efface - peut-être comme le premier compositeur moderne - pour parler directement au public, et crée quelque chose que moi je nommerais « musique ex-négative » : l’orientation radicale vers l’intériorité, le renoncement à tout artifice manipulateur qui fait de la musique – et aussi du théâtre - quelque chose d’excitant et de spectaculaire avec un regard plus superficiel.


Ce choix du renoncement a été occulté pendant très longtemps, jusqu’à ce que les artistes du 20ème siècle commencent à se rebeller contre la dictature de la « communication », de la « responsabilité » (par exemple historique), du succès, de la qualité propre, ou l’idée de l’applaudimètre comme critère de qualité, l’idée que la musique - comme une flèche de Cupidon - se dirige directement vers le coeur, avec complaisance, avec l’estime de l’auditeur. Je pense au dernier quatuor à cordes de Shostakovich, qui s’intègre exclusivement par mouvements lents, ou la musique de Morton Feldman, ou à John Cage, musique qui nous montre une présence à travers une disparition.


« Fuyez-vous les uns les autres » Rodrigo García, Gólgota Picnic


Le Christ de Haydn n’est pas le Christ de la grande tradition baroque ; il n’a pas besoin, comme les passions de Bach, d’un narrateur, de quatre solistes, de choeurs, de deux orchestres et d’un choeur d’enfants pour être acclamé et adoré, Roi du monde, une personne en souffrance mais mythique.


Chez Haydn, il est si proche, un corps humain solitaire et endolori avec un piano comme cercueil.


(Les versions préférées de Haydn de ses propres Sept Paroles étaient, d’après une lettre à son éditeur Artaria, la version pour quatuor à cordes et la version pour piano, qui, par rapport aux versions pour orchestre, seraient semblables aux dessins ou même aux esquisses, essentiels à une peinture.)


Le Christ de Haydn, avec ses silences, avec ses soupirs, avec ses cicatrices, avec ses ongles, avec ses cantilènes, ses dissonances, ses explosions de bonté, ses envolées d’optimisme, avec ses colères sourdes, ses souvenirs d’enfance innocents, avec ses vols dans le ciel, ce Christ est un homme réel de chair et d’os. On peut sentir ses blessures, sentir sa proximité, son humanité. Cependant, dans la musique de Haydn, de fait, nous ne trouvons pas ce que Jésus a dit, mais ce qu’il n’a PAS dit. Il ne se lamente pas pour nous, ne nous montre pas ses blessures, ni ses rêves, ses explosions de bonté sont uniquement pour lui-même, ses cantilènes sont muettes et pourtant si présentes.


C’est la chute de Rodrigo.


« Je ne vous dis pas sautez par une fenêtre. Je vous dis sautez à l’intérieur de vous-même ; jouissez de la chute, ne laissez personne vous importuner » Rodrigo García, Gólgota Picnic


« La solitude est l’unique certitude que vous ayez en vous ». Rodrigo García, Gólgota Picnic

Marino Formenti

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