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Gólgota picnic

+ d'infos sur le texte de Rodrigo García
mise en scène Rodrigo García

: Prologue

Cette oeuvre écrite a débuté le 22 mai 2009 dans un taxi de Macerata sur le trajet de la gare de trains d'Ancône et s’est conclue dans la chambre 3706 du phobique Prince Hôtel Sunshine du quartier d'Ikebukuru à Tokyo en novembre 2010 et dans un Airbus 380 de la compagnie Air France.


Le matériel - quelques 250 pages éparpillées dans 14 carnets noir et marron - saisi sur un Mac Book Avantage de 15 pouces et retravaillé durant les vols AF276 Paris-Tokyo du 15-11-2010 (11 heures 40 de vol) et AF275 Tokyo-Paris, du 25-11-2010 (12 heures 20 de trajet) puis pendant les 24 heures des 9 jours entre vol et vol, déambulant comme un zombie depuis la chambre 3706 du Prince Sunshine Hôtel d'Ikebukuru jusqu'au Family Market du rez-de-chaussée du Prince Sunshine d'Ikebukuru où ils servent un café nauséabond à toute heure, et tout en remontant, en chaussettes, à l'étage 37.


Nous restions éveillés le chinois du Family Market du rez-de-chaussée de l'Hôtel Sunshine à Tokyo, l'autre chinois de la réception du rez-de-chaussée de l'Hôtel Sunshine à Tokyo et moi qui montait et descendait coûte que coûte de la 3706 au Family Market en passant par le lobby de l'Hôtel Sunshine du quartier d’Ikebukuru, blockhaus qui manque totalement de fenêtres.


Même un enfant, si on le lui demandait, dessinerait le pavé de béton du Sunshine Hotel comme un pavé de béton saupoudré de fenêtres, il ne se fatiguerait pas de dessiner et dessiner des fenêtres, mais pour moi il n'y avait pas de fenêtres, parce que les fenêtres ne pouvaient pas s’ouvrir.


Si une fenêtre vient et te dit : regarde par la fenêtre mais ne te penche pas par la fenêtre, n'ouvre pas la fenêtre, ne te jette pas par la fenêtre, ce n'est pas une fenêtre. Pour preuve : Mario Monicelli, qui s’est jeté par une fenêtre de l'hôpital à 95 ans il y a peu.


Les carnets - écrits tous à l’encre noire d'une plume Mont Blanc achetée le jour de mon anniversaire dans le duty free de l'aéroport de Genève pour me faire une surprise à moi-même puisque personne ne m’offre jamais rien ni ne se rappelle du jour de mon anniversaire, et celui qui se rappelle, généralement il m’appelle, mais ne m’offre rien, et c’est pour ça que je suis allé à Genève le jour de mon anniversaire, pour aller quelque part et me surprendre à l'improviste avec un cadeau – ils ont été découpés à la main en arrachant quelques feuilles, ils ont été soulignés au stylo à bille Bic vert, ils ont été rayés avec un crayon Fabber HB et surlignés au marqueur fluo orange Stabilo Boss, beaucoup au second étage de la rue E. Eminescu de Timisoara entre le 23 août et le 9 octobre 2010. Ne manquez pas d'aller manger au restaurant « Timisoreana » là près de l'étage dont je vous parle dans la rue Eminescu, ces superbes rouleaux de viande et chou et on verra si vous supportez le groupe de folklore qui chante et danse sans jamais s’arrêter.


Les jours suivants, 10 et 11, tous les carnets sont restés au repos dans un tiroir d’une commode du Danubius Hôtel Margitsziget de Budapest, bâtiment majestueux sur une île pleine de vieux et vieilles décrépits qui allaient et venaient en sortie de bain et savates, des bains et vers les bains. Du petit-déjeuner aux bains. Des bains à la sieste. De la sieste aux bains. Et ainsi jusqu'au petit-déjeuner suivant, toujours en passant par les bains.


Les carnets avaient souffert l'hiver précédent et s’étaient remplis et tachés dans le village de Ligüeria et beaucoup ont voyagé et ont été complétés lors de sporadiques visites dans les pinacothèques à Berlin, Bruxelles, Naples (un carnet marron qui contient presque la moitié de la pièce - je l'ai rempli d'un trait sur une nappe dans le restaurant « Mar e Luna » que l’on ne trouve pas dans les guides parce qu'il n'a rien de spécial et se situe dans le quartier du marché de la Maddalena aussi appelée Duchesca) et à la Santa Cueva de Cadix, taudis humide et terrible où hypothétiquement Haydn - qui n'a pas voyagé - a étrenné l'oeuvre. Dans cette visite, sur la terrasse du bar de la « Plazuela del Tio de la Tiza », de la même localité, deux des carnets ont été tâchés à 40% de matière grasse ou huile d’ortiguillas, chocolat et omelette de crevette mais sans en affecter la lecture.


Pour revenir à l’histoire du taxi (Macerata-Ancône), c’est là que j’ai rencontré Marino Formenti qui retournait dans sa maison de la Seidlgasse à Vienne après avoir joué des oeuvres de Iannis Xenakis et de Giascinto Scelsi.


Comme nous ne nous connaissions pas et que le trajet était d'une heure et quelque, nous avons parlé pour parler, à propos de Haydn. Nous nous sommes dit au revoir.


Marino participait à la Rassegna de Nuova Musique 2009 à Macerata, le festival qu'organise depuis 25 ans mon ami le contrebassiste et compositeur Stefano Scodanibbio. J’y allais en tant que spectateur, Marino y allait pour jouer et diriger un orchestre.


Un après-midi, Stefano m’a amené voir Marino diriger la répétition d'une pièce de Scelsi au village où est né Pergolesi, je ne me rappelle pas le nom mais c’était tout près… Ça s’appelait Jesi, maintenant je me souviens. Le théâtre et tous les glaciers, pâtisseries et primeurs de Jesi s’appellent Pergolesi.


Je trouvais cela ennuyeux d’être là, dissimulé dans une loge pour ne pas déranger les musiciens et je suis parti au milieu de la répétition et me suis retrouvé dans le musée de Jesi, qui, comme tout à Jesi, était tout près.


Un Monsieur m'a ouvert la porte fermée à clé, m'a invité à passer, a refermé à clé, a déchiré un billet et allumé les lumières et j’ai été un court instant devant un Lorenzo Lotto énorme : un Christ suspendu dans un drap avec des gens qui se tirent les cheveux. J'ai empêché le monsieur de faire sa sieste mais le tableau m’a servi à écrire l'oeuvre, j'ai déjà fait bien pire à d’autres.


Par la suite, pour les répétitions, j'ai rassemblé un groupe de collaborateurs de manière simplissime - personne ne compte plus de huit ou dix personnes qui lui font confiance, il faut seulement huit ou dix appels et ne pas donner trop d’explications - et on a répété l'oeuvre comme tout le monde, sans rien faire de spécial, en tombant une et mille fois dans tous les vices du douteux art théâtral.


Le texte qui est publié n'est pas aussi abondant que je ne l’aurais souhaité (mais je n’ai plus d’énergie pour corriger tous les carnets noirs et marrons) mais il inclut toutefois quelque passages qui n'apparaissent pas dans l'oeuvre représentée, c'est pourquoi c’est bien que vous achetiez le livre à 10€, ainsi il ne retourne pas au dépôt de l'éditeur, où se recycle le papier et les lettres pour ensuite imprimer des oeuvres mineures comme « L'homme sans attribut », bien qu'aussi, d’admirables traités de bien-être et de non moins indispensables volumes de cuisine Thaï.


Con esto y un bizcocho, hasta mañana a las ocho.

Rodrigo García

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