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Gólgota picnic

+ d'infos sur le texte de Rodrigo García
mise en scène Rodrigo García

: Entretien avec Rodrigo García

réalisé par le CDN de Madrid

Vous dites que le texte de vos oeuvres n’est pas fondamental, mais que le plus important vient après, avec la mise en scène. Quel processus traverse chacune de vos créations ?


Au début, il y a plus de 15 ans, je suivais un processus « normal », comme n’importe quel dramaturge ; j’écrivais les oeuvres et ensuite je les montais. Par la suite j’ai changé la méthodologie de mon travail. Il y a une grande différence entre ce qui est écrit, et ce qui se passe ensuite sur le plateau. Le texte est en général assez frustrant, avec beaucoup de choses qui ne fonctionnent pas. De fait, d’après moi, 90% du théâtre ne fonctionne pas, ce sont des choses que je ne comprends pas, anachroniques, comme une espèce de machine qui ne marche pas.


J’ai réfléchis à cela, et pensé que le mieux était de tout faire de l’intérieur, à partir du théâtre, c’est-à-dire comme si c’était une oeuvre structurée dans laquelle on se retrouve à plusieurs, on produit du matériel et on voit si cela est consistant pour les idées aient leur propre existence. Il s’agit de matérialiser ces idées, et le mieux pour y arriver, c’est déjà de travailler dans un théâtre, d’être avec les personnes, et de construire, sans trop de certitude et toujours avec de la peur. Disons que la base de mon travail est la peur parce que tu ne sais jamais ce que tu vas trouver. Ceci est aux antipodes de ce qu’est un créateur omnipotent, qui chez lui est capable d’écrire le texte, les didascalies, la scénographie, les entrées et sorties, qui à mon goût, je le répète, donnent généralement un résultat manqué, sans vie et faux.


Pour générer un peu de vérité et de vie sur scène, le mieux est de travailler à partir de la peur et de la fragilité. Je travaille énormément seul parce que ça me plait, et que les rencontres avec les personnes me coûtent. L’oeuvre s’est créée avec les notes de vingt mille petits cahiers, que j’ai toujours dans mes poches, avec des notes que j’ai prises dans beaucoup de lieux différents : à Tokyo, sans sortir de l’hôtel, dans ma maison dans les Asturies, sans sortir à cause d’une neige incroyable ; en parlant avec les acteurs autour d’un repas… Après je m’impose un travail rigoureux en utilisant tous ces matériaux. J’ai un grand respect pour la littérature parce que je suis assez amateur. J’arrive aux répétitions avec pas mal de propositions sans qu’elles soient définitives. Je ne suis pas déçu si une idée ne marche pas. A partir de là, les choses se transforment et nous arrivons à un accord avec les gens qui travaillent, et la pièce se construit peu à peu.


Il y a d’une part le matériel écrit, auquel je prête attention, et d’autre part le travail hasardeux, complexe, et un peu chaotique des répétitions. La décision de ce qui marche ou pas, vient de l’action scénique, du théâtre même et des acteurs eux-mêmes.


Vous vous êtes inspiré de l’oeuvre de Joseph Haydn « Les 7 dernières paroles du Christ en croix », mais vous abordez nombreuses autres peintures… Sur quoi d’autre vous êtes-vous basé ?


L’oeuvre parle de ma vie. Toutes les oeuvres parlent de la vie de quelqu’un. De quoi d’autre parlent-elles ? Ensuite, il faut transformer en fiction sa propre biographie et ce qui est important à cet instant, c’est l’état d’âme de la personne. Parfois j’ai écrit des pièces beaucoup plus ironiques et drôles, avec un sens de l’humour très noir et très particulier. Dans celle-ci non. Cette pièce est beaucoup plus introspective, et pour cela je me centre davantage sur les dernières peintures que j’ai vues dans les musées des villes dans lesquelles, par chance ou malchance, j’ai dû voyager. De par mon métier j’ai été amené à présenter mes spectacles un peu partout… Et dans ces villes il y a des grandes galeries avec des oeuvres importantes mais aussi avec des oeuvres mineures d’artistes plasticiens qui m’interpellent. C’est pourquoi la pièce est un amalgame un peu étrange de peinture et musique, avec des références très claires à une peinture de Van der Weyden très connue, qui est au Prado, également à des fresques de Giotto que je voudrais aller voir. Il y a aussi une référence à une grande peinture sur laquelle je me suis arrêtée il y a peu dans la cathédrale d’Anvers ; elle est de Rubens, un peintre qui ne me plaisait pas, mais je m’efforce à l’apprécier pour pouvoir en profiter. J’aime changer d’opinion.


L’idée de la pièce musicale est née d’une simple coïncidence. Depuis deux ans je vais à un festival de musique organisé dans le petit village de Macerata en Italie. Un jour à la fin du festival, en prenant un taxi pour aller à l’aéroport, je me suis retrouvé avec un type que je ne connaissais pas mais que j’ai reconnu pour l’avoir vu jouer sur scène. C’était le pianiste Marino Formenti. Nous avons engagé la conversation. C’était un trajet de plus d’une heure jusqu’à l’aéroport. On a parlé de Haydn, et par hasard, je ne sais pas pourquoi des Sept paroles du Christ sur la croix... Puis nous nous sommes dit au revoir. Je ne sais plus combien de temps après, Gérard Vera m’a demandé si je travaillais sur un projet. Je lui ai dit que oui, que j’avais un projet sur Les sept paroles… Bien qu’en réalité je n’avais qu’une idée liée à la rencontre avec Marino. Je lui ai dit qu’il serait important que Marino joue cette oeuvre au piano. Au final, grâce à la bonne volonté du CDN, de Marino, et par pur hasard, le projet s’est réalisé.


La pièce ne parle pas de la vie du Christ, mais, comme vous l’avez dit, de la vôtre.


Bon, ça a été un casse-tête. La vie du Christ m’a toujours intéressé et je me basais sur un philosophe chrétien, Ernest Renan, qui, bien qu’il ne me plaise pas beaucoup avait écrit un livre sur le Christ. Mais je m’attachais surtout à des cinéastes : sur L’Evangile selon St Mathieu de Pasolini, sur un projet de Theodor Dreyer sur la vie du christ, qui n’a jamais abouti, etc. De même le film de Scorsese, La dernière tentation du Christ, m’a amusé. J’ai énormément de références cinématographiques. Et à côté de ça l’iconographie, toutes ces peintures terribles des grands peintres de la renaissance, que j’étais habitué à voir dans les grands musées italiens ou flamands… Et bien sûr, les peintres espagnols. A partir de là j’ai pensé que je pouvais commencer à travailler sur le Christ, mais ce fut très lourd et compliqué. Alors, finalement, la pièce commence par une introduction assez longue qui parle avec une certaine distance et un point de vue critique non pas du Christ, mais de son utilisation par l’Eglise et les systèmes sociaux. Ensuite j’aborde, évidemment, des sujets personnels, et ici pratiquement tout tourne autour de la mort. Mais c’est traité de manière très positive, très peu occidentale, c’est-à-dire la mort vue par la philosophie orientale, comme une réalité ; et la vie comme une préparation à mourir, sans avoir autant de problème avec la mort, qui est peut être l’unique certitude parce que nous ne savons pas ce qui va nous arriver demain, ni dans l’heure, mais nous sommes totalement sûrs que nous allons finir par mourir. Là est la pièce.


A la lecture de la pièce on comprend que vous voyez la mort comme une libération de votre fatigue de vivre. Est-ce cela ?


Ce sont des fictions. Une personne qui ne veut pas vivre n’écrit pas une pièce de théâtre, même si celle-ci a une apparence nihiliste, mais essaie de mourir. J’espère, en dépit de tout que cette pièce a une lecture plus optimiste et positive ; d’ailleurs, il est sain de parler de la mort comme une certitude et comme quelque chose de cohérent, en tout cas cela m’aide en ce qui me concerne.


Chacun devrait envisager la vie qu’il mène en reconnaissant que la mort est la fin ultime.


Mon texte tente de dire ceci au public que, puisque tu vas mourir, vis ta vie le mieux possible.


Chacun le fait comme il le veut, certains en buvant de la bière, d’autre en lisant Schopenhauer.


D’autre part, j’essaie d’être le plus ambigu possible dans l’écriture, parce qu’il me plait de laisser des chemins ouverts qui provoquent différentes interprétations.

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