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Drames de princesses

mise en scène Maya Bösch

: Entretien avec Maya Bösch

Propos recueillis par Anne Pitteloud

ANNE PITTELOUD Figures réelles ou princesses de contes, toutes les héroïnes de Drames de princesses échoueront à des degrés divers à se libérer des rôles où les enferme une société machiste. Pourquoi choisir Jackie Kennedy ?


MAYA BÖSCH Il y a un peu de Blanche-Neige et de la Belle au Bois Dormant chez Jackie :
les aliénations féminines ont les mêmes sources et les mêmes effets. Par ailleurs, les années 1960 et la beat generation, Kennedy, Marilyn, les drogues, etc., tout cela reste très évocateur aujourd’hui. Le «drame» de Jackie vient du silence et du noir total dans lequel elle est plongée : on a toujours parlé à sa place, et elle n’avait aucune chance de se libérer des photographes, de ce monde des paparazzis qui a envahi son intimité.
Jelinek banalise cette grande figure du XXème siècle, qui se raconte ici de manière très émotionnelle: il s’agira de créer une atmosphère quotidienne où chacun se reconnaîtra, afin d’ouvrir un dialogue avec le public sur les comportements et les manières de réagir.
Drames de princesses nous fera peut-être entendre la parole des femmes ou, à travers leur parole, leur silence éternel.


AP La distribution est exclusivement féminine avec cinq comédiennes, dont la chanteuse Dorothea Schürch. Cela change-t-il votre manière de travailler ?


MB Il règne une énergie différente et moins d’autocensure que lorsque la distribution est mixte : les comédiennes parlent de manière plus charnelle, transgressant sans cesse le langage par les larmes, les cris, le rire… C’est libérateur, d’autant que je veux axer la recherche sur le corps, développer un univers autour des textes. Les comédiennes vont ainsi créer un jeu choral et très physique, où le texte sera en circulation constante. Nous travaillons à saisir d’abord la figure de Jackie en explorant les postures féminines, l’espace sonore, le rapport au spectateur, tout un langage non verbal qui intègre des bruits, des éructations, du chant. Nous avons notamment travaillé sur la posture immobile. Happé par la société du spectacle, le corps de Jackie ne lui appartient plus. « Je prends forme en me coulant dans le béton », dit-elle. Une image de paralysie et d’impuissance qui évoque le corps des femmes figé par le regard et le jugement des autres. Nous explorons aussi les modulations du souffle. Chaque comédienne incarne un rythme particulier – silence, lenteur, rire, staccato, hystérie. Enfin, la scénographe Sylvie Kleiber propose d’inventer un espace qui induise un regard de biais, afin de mettre le spectateur dans la même position, non centrale et souvent inconfortable, qu’ont les femmes dans la société.


AP Quelle dimension ce travail sur le corps apporte-t-il au texte de Jelinek ?


MB L’écriture de Jelinek est un langage non figé, qui vise notamment à ébranler les carcans dans lesquels les femmes sont enfermées. Jackie parle beaucoup de mode : « Je suis mes vêtements et mes vêtements sont moi », répète-t-elle. Le moule du vêtement devient ici une métaphore du corps de la femme, une prison dont Jelinek cherche à libérer ses héroïnes par son écriture transgressive. Elle transforme la syntaxe allemande, tord la langue comme si elle était saoule et, avec beaucoup d’humour, invente des non-sens afin de se libérer du Logos, la raison suprême des Grecs. La traduire est difficile : il faut réinventer le français pour qu’il ne résonne pas de manière classique. Il y a donc une vraie jouissance de cette langue corrosive, et le travail sur le corps permet de souligner et redonner sens à ce qui a été perdu par la traduction.


AP En quoi l'écriture de Jelinek a -t-elle une portée universelle ?


MB Elle s'adresse aux minorités, aux voix inaudibles, oppressées, absentes de la place publique. Elle se sert du langage comme d'une bombe, avec cruauté et l’intelligence du rire, afin d’exhorter tout être humain à s'émanciper, intellectuellement, politiquement, sexuellement. Hantée par le passé nazi de son pays, communiste, très engagée en tant que femme, intellectuelle et artiste, elle n’a de cesse de s’attaquer aux idéaux et modèles de notre société. Elle rejette le théâtre d’expression comme le théâtre- vérité où le texte s’incarne dans le dialogue. Son écriture bouleverse les pratiques et modes de représentation théâtrales, inspire un repositionnement radical du corps, de l’espace et de la langue.

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