theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « De mon hublot utérin, je te salue humanité et te dis blablabla... »

De mon hublot utérin, je te salue humanité et te dis blablabla...

mise en scène Julie Kretzschmar

: Extrait

Pièce en 1 acte et 18 noeuds


Yasmina : la Mère-avec-E (par opposition à Apocalypso, la Mer-Sans-E).
Tarik, fils de Yasmina, alias Tarik Ibn Harrag : candidat malheureux à l’exil par mer.
ProtoTarik, Tarik-position-foetale : Ulysson lilliputien voguant dans la Mer Amniotique de Yasmina.
Omar, alias Omar Timsah (Omar Crocodile) : meilleur ami de Tarik, harrag ayant réussi à rejoindre l’Italie.


(...)
11ème Noeud : Prison Break


Tarik :
Sur la fiche de police
Devant la rubrique « profession »
Je mettrai donc « fils de sa mère », c’est ça, maman ?
C’est ce que tu veux faire de moi ?
Un fils à maman ?
Un gâté pourri couvé jusqu’à se transformer en coq mou par sa maman-poule ?
Que des bobards, maman !
Et je n’ai même pas réussi à devenir moi-même
Alors, pour le pilote, le serial baiseur et le capitaine
Faut même pas rêver
Les résultats à l’école ? Foutaise !
Les meufs ?
Toutes découragées par ta poésie oedipienne
Résultat des courses : j’ai terminé fils au foyer
Avec un casque autour des oreilles
A m’abrutir de jeux vidéos en me droguant aux tubes piratés
Jusqu’au jour où une brèche s’est ouverte dans ma prison d’affection
Un compte d’utilisateur et un mot de passe et me voici Prince du tchatte et des réseaux sociaux
MISTER MSN !
LA STAR DE FACEBOOK !


Passé le quart d’heure sites ados
Et chasse aux chattes pour partouzes virtuelles
Place aux choses sérieuses
Avec Omar, on s’est fixés un objectif – plutôt balaise :
Tourner Prison Break en Algérie
Avec lui et moi dans le rôle de Michael Scofield et Lincoln Burrows
Oui, les incorrigibles frères fugueurs pourchassés par les tontons flingueurs
Sur nos peaux, nous tatouerons des cartes de navigation
Fidèles reproductions de la géographie du Beau Monde
Et nous ferons le mur
Nous ferons la mer
De la Prison Algérie
C’est ainsi que tout a commencé…


A l’arrivée, voilà ce que je récolte : un cercueil aquatique
Grandeur BD pour branleurs rêveurs pathétiques


La vérité est que ton fils est Personne et restera personne mais mourra comme personne et cette tautologie est sa seule vérité !


Ton Ulysse de papier
Tu te le fous où je pense, maman
Pour le moment, c’est moi qui crève
Dieu se fout éperdument de tes jérémiades
Nos prières butent contre un ciel métallique et retombent pierres
Le cyclope des mers, lui
A l’oeil à tout
Il reçoit tes pleurs cinq sur cinq et te transmets ses salutations les plus cyniques
Ta Cécile pleure du sel dans sa cale
Elle a échoué en Sicile
Elle a échoué en tout
Au large du genre humain
Langée de serviettes hygiéniques
A défaut de linceul


Je suis une fleur de Sicile
Sans bourgeons ni pétales
Un pauvre bougre venu d’un bourg lointain
Un bourg sans arbres ni caresses
Juste des chants arides rêvant de lys fastes et beaux


(Il chante en détournant « Cécile », la chanson de Nougaro) :


Elle voulait me mettre au monde
Je ne voulais pas descendre
Du ventre de ma mère
Non merci ma tendre
J’attendrai la prochaine terre
Je prendrai la prochaine île
Elle s’appellera Sicile


(refrain) SICILEUUUUU
MON IIIILEEEEEUUUU


Si tu voyais comme il se moque de ta tristesse, le monstre borgne
Sa bouche atroce nargue ton « Brad Pitt » de fils et sa frimousse coquine à pleine gueule pendant que je dégueule mes rêves puérils un par un
Il me fait payer rubis sur l’ongle chaque centimètre de mer parcouru sans ta bénédiction


Il faut avoir de la noblesse pour comprendre la noblesse
Il faut avoir de la bravoure pour comprendre la bravoure
Il faut avoir de la dignité pour comprendre la dignité
Il faut avoir de la pureté pour comprendre la pureté
Il faut avoir de la générosité pour comprendre la générosité


Etais-je aussi noble
Aussi digne
Aussi brave
Aussi généreux
Aussi pur
Que toi, mère ?
Moi, ta plus belle oeuvre ?
Toi, ma plus grande bavure ?
C’est le passé que l’on construit avec les gens qu’on aime
Pas l’avenir
Aimais-tu à professer
En bonne prof’ shakespearienne que tu es
Et mon passé est plein de ta grâce
De ta noblesse
De ta bravoure
De ta dignité
De ta pureté
De ta générosité
Et c’est ce qui complique les choses
Car, lesté de toutes ces sollicitudes que tu as laissées en moi
Et qui m’emplissent de solitude
Je coule à présent plus vite


Je suis un fils ingrat
Taillé dans un bloc de culpabilité


Je suis une goutte d’âme
Dans un océan de banalité


2 cms sous l’eau
5 cms sous l’eau
50 cms sous l’eau
1 m sous l’eau
10 ms sous l’eau


Et le Cyclope qui m’enfonce avec sa main monstrueuse
Qui empoigne ma tête comme on agrippe un oignon
Et il me pèle
Me pèle
Jusqu’à la dernière larme
Il dit que c’est le maître des flots
Et que tu peux te plaindre auprès de la Divine Comédie
Si le film ne te plaît pas
Tu peux changer la fin si tu connais Fellini ou Dante
Mais même ce vieux chnoque ne charme plus l’Italie
Tout ce qui intéresse le monde, c’est le marché des transferts
Et le gros poker de l’été : Eto’o contre Ibrahimovic
Les Nerazzuri s’en excitent
Les Rossonerri rient sous cape
Et Mourinho qui chambre Ronaldhino pour ses frasques milanaises
Voilà l’actu, maman
Au pays des Tifosi
Ton Ulysse ringard ne fait bander personne
A moins qu’il n’embarque Cristiano Ronaldo sur son vaisseau
Et le ramène d’autorité jouer au FC Ithaque


En attendant, moi je dors à même les vagues
Je dors à même la mer, Mère
Moi, ton gros sac de sommeil paresseux comme tu m’appelais, maman
Ton gros sac paressant dans ton sac amniotique
Une longue sieste subaquatique
Avec un sommeil de plomb et néanmoins insubmersible
Les chiens de mer me reniflent avec voracité
Et déchiquètent mes chairs
Sous les applaudissements moqueurs des Lotophages
Même Argos, le vieux chien aveugle d’Ulysse, ne me reconnaît pas
Il s’abat lui aussi sur mes os avec sa mâchoire édentée
Pire que la mâchoire hilare de Omar Crocodile
Même lui, Omar le homard
L’animal
Le connard
Ne répond plus sur Skype
Et le fond marin n’est pas connecté
Leur réseau wifi est merdique


2 m au fond
20 mille lieues au fond de ma merde
Je te dédie mon ultime coulis de bile, maman
Scellant l’oeuvre ultime de tes foutues promesses !


Tu t’es trompée sur toute la ligne, maman
Ton fils a bien eu un destin
Un destin de clando
De clodo
SDF international écumant les mers à la recherche d’un quignon de dignité


Ton fils a un destin, mère
Je m’appelle Personne
Et CLANDESTIN est ma profession et mon identité


Je suis une goutte d’âme
Dans un océan de banalité


Je suis une goutte d’âme
Dans un océan de banalité

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.