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De mon hublot utérin, je te salue humanité et te dis blablabla...

mise en scène Julie Kretzschmar

: Note d'intention de Mustapha Benfodil

Errance aquatique et radeau de plaisance au bord de l’humanité


En Algérie, les « Tarik Ibn Harrag » ont un nom : les harragas[1], corporation de matelots téméraires bravant la Loi pour pirater des îles réputées heureuses.


(...) Pour autant « De mon hublot utérin… » n’est pas un pamphlet pro-harragas.
Ce n’est pas non plus du théâtre social, ni un texte documentaire sur la « condition clandestine ».
Il n’est évidemment pas interdit de l’aborder comme une pièce inquiète qui résonne avec un vécu brûlant.
Pour moi, ce texte raconte avant tout la relation d’une mère et son fils. Une mère qui a juste envie de comprendre qu’est-ce qui n’a pas fonctionné entre eux pour que Tarik, SON Tarik, aille jeter l’ancre en enfer et sa dépouille aux flots, se donnant ainsi en offrande à la maudite Apocalypso, étrange nymphe des mers qui vampirise les ingénus beaux gosses de Numidie en n’ayant que du vent à leur offrir pour consoler leur désir féroce d’Ailleurs. Yasmina sait la puissance des frontières et le caractère désespéré de cette odyssée puérile. Cependant, une seule frontière la hante : celle qui s’établissait insidieusement entre elle et son fils quand elle pensait lui avoir tout donné.


C’est donc un texte qui explore la « condition harraga » à partir du point de vue des mères, ces « mers de larmes et de culpabilité » qui sont si indignement « récompensées » pour leur naïves espérances : les Tarik, eux, se moquent copieusement de leur foi niaise dans la beauté du monde.


Je disais que « De mon hublot… » n’est pas un texte documentaire. Pourtant, ce drame s’appuie largement sur une expérience physique forte : une houleuse traversée que j’ai faite sur l’un des itinéraires les plus empruntés par les harragas algériens : l’axe Annaba - La Sardaigne. Cette traversée à bord d’un petit voilier – Zitoun – m’a permis, sinon d’être dans la peau de Tarik, à tout le moins de chevaucher la mer, d’épouser son imaginaire, de mesurer l’ampleur de pareille aventure dans sa dimension psychologique et émotionnelle.


Cette forte charge physique se devait d’être contrebalancée par une prise en charge artistique sous peine de sombrer dans le témoignage picaresque. Car, avec la force intrinsèque d’un tel matériau, la tentation était grande de céder à la « facilité » du récit quand il se borne à raconter une réalité à fort potentiel dramatique. Le travail accompli sous l’égide des Bancs Publics, avec mes partenaires, le chorégraphe Thierry Thieû Niang et le comédien Samir El Hakim (Rencontres à l’Échelle, novembre 2009) a été déterminant pour, justement, replacer le sujet dans sa dimension poétique, avec, à la clé, une très belle écriture corporelle, le corps entendu ici comme épicentre des désirs et des violences.

Notes

[1] La traduction littérale de al harga signifie la brûlure. D’abord utilisé au Maroc, le terme harraga désigne les candidats à l’émigration clandestine, les brûleurs de frontières, ceux qui, pour partir sans laisser de traces, brûlent leurs papiers, se débarrassent de tout ce qui permettrait aux contrôles répressifs de les identifier.

Mustapha Benfodil

mars 2010

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