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Souterrainblues

+ d'infos sur le texte de Peter Handke traduit par Olivier Le Lay
mise en scène Maya Bösch

: Note d’intention

La lumière du langage handkien


Toutes les oeuvres de Peter Handke mêlent plusieurs catégories de langages, de cultures, de lieux et de personnes: paroles d’enfance, de guerre, de religion ou d’universel. Dans un sens global, on peut considérer les oeuvres de Handke comme des histoires de familles, des histoires de couples ou des carnets de voyages. Son écriture est profondément marquée par sa « trame d’enfance » – il est moitié autrichien, moitié slovène et enfant de guerre – une première déchirure avec en conséquence une écriture en mouvement.


Peter Handke voyage à travers l’autre, à travers l’espace et le temps, non pas pour s’échapper mais pour être ici et maintenant, là-bas, chez l’autre et donc chez soi. Ainsi son écriture déplace le lecteur d’un lieu à l’autre, le maintient toujours en route (on the road), en mouvement, en cadence, en rythme. Sa démarche consiste à superposer le lointain et le proche; l’espace et le temps. Eternel retour et départ sont à l’origine de sa poésie, à travers l’autre, arriver chez soi ou take the long way home. Mais ce n’est pas son enfance qu’il recherche, mais le langage d’avant. Son écriture débouche ainsi sur la promesse d’une langue silencieuse, au coeur du langage. « Une écriture, dans l’écriture, passe l’écriture, mouvement paradoxal d’économie et de retrait. La littérature cherche en ce sens, au-delà du sens et du non-sens, la part muette du langage au-delà de la signification », constate Derrida. Pour Handke, la langue est devenue sa vraie Heimat (patrie), sinon, disait-il un jour, il serait devenu un fou.


Ici, c’est mon domaine. Ici, c’est notre territoire


Aujourd’hui, nous nous acharnons à travailler pour une société qui voit son salut uniquement dans la machine économique.
Il ne faut pas gâcher de temps. Il faut, au contraire, avancer. Augmenter la productivité et éliminer le manque. Le mot « communauté » semble démodé. Le mot « solidarité » nous fait ricaner. Plus personne ne prend la parole et la résistance se fait silencieuse. Les mots de l’homme fauve parlent de ça : de la lâcheté, de la laideur, de l’hypocrisie, de la violence et de la peur qui ont pourri l’homme. Incarnation parfaite de la solitude ?


Dans Souterrainblues, quelqu’un se lève et prend la parole. Ce quelqu’un, c’est le théâtre. L’homme fauve. Il possède un charisme impressionnant. Ses mots provocateurs et violents nous touchent, nous transpercent. Alors que nous prêtons l’oreille à ces mots cinglants, quelque chose se passe à l’intérieur de nous. Peut-être surgissent des doutes. De la rage. De la joie. Du deuil. De la réflexion. Soudain on entend une voix oubliée. Une voix qui pendant longtemps a été doublée par le bruit de la prospérité. C’est notre voix. Elle est un peu rauque, voilée, cassée. Alors nous écoutons et nous plongeons dans un impitoyable voyage intérieur.


Dans Souterrainblues, Handke choisit un lieu d’enfermement, un souterrain, d’où il est difficile de fuir ou d’appeler à l’aide. Cet espace cherche à exposer le spectateur, à le confronter, à l’interroger.


La mise en scène prolongera cette sensation souterraine, sensation d’étrangeté notamment en alternant la froideur et la chaleur liée au corps à corps acteur/ spectateur. Comme dans un métro, les spectateurs seront assis les uns face aux autres. Comme dans un métro, un homme (joueur d’harmonica, âme perdue, fou..) s’adressera aux gens et déambulera parmi eux.


Pourtant la scénographie, elle, n’évoquera rien d’un métro. Ni d’un espace connu. Le public se trouvera dans un espace blanc, lui-même situé dans un espace noir. L’artifice dans l’artifice. Un espace prêt pour une possible aliénation. Souterrainblues, vingt scènes de terreur, vingt stations d’un voyage vers le silence, durée d’un travail forcé.


Là, l’homme fauve débutera un voyage de mots outrageants - un itinéraire troublant parmi les spectateurs. A travers plusieurs mouvements scéniques, variations de son et de lumière, l’homme fauve se questionnera, nous questionnera publiquement et ainsi, nous emportera avec lui dans les profondeurs de son intimité et dans l’univers de Handke, au coeur des choses intérieures et invisibles. Le vrai drame ne sera finalement pas celui de l’homme fauve mais bien celui du « nous, ici, maintenant ». Unique partenaire de jeu, le spectateur deviendra le double, le miroir, l’autre.


Derrière les insultes, derrière la fureur de ses mots, l’homme fauve posera en fait une question sociale fondamentale: quelles sont nos possibilités de vivre ensemble?


Spectatrice parmi les autres spectateurs, la femme fauve n’apparaît qu’à la toute fin. Elle vient pour répondre. Elle vient pour comprendre. Elle pose des questions. Comme nous, est-elle son adversaire ou son semblable ?

Maya Bösch

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