theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Slogans »

: Propos de l'auteur

Slogans est un livre étrange, extraordinaire. Il l’est par son contenu : il décrit un univers de guerre totale où l’humain n’existe plus, sinon sous forme de traces, et où les acteurs – les actrices, plutôt, car ce sont surtout des créatures féminines qui apparaissent et vocifèrent – semblent appartenir à d’autres espèces dominantes que l’homo sapiens. Il est également extraordinaire par sa forme : une suite d’instructions et de mots d’ordre qui décrivent, sans autre technique narrative que leur alignement et leur brutalité, le chaos et les souffrances, les espoirs lointains, le tourbillon apocalyptique, l’embrasement suicidaire d’une planète entière. Aucune prose explicative ne vient adoucir le contact entre les lecteurs et cette guerre terrifiante ; aucune voix extérieure ne se glisse dans le texte pour guider le visiteur et lui dire l’histoire. Pas de narrateur, pas de personnages, et pourtant, une histoire se déroule, riche en événements grandioses autant qu’en émotions minuscules : une épopée. C’est une fiction magnifique, qui se situe à l’écart des traditions romanesques les plus courantes, et, si la poésie n’avait pas aujourd’hui si mauvaise presse, on aimerait évoquer là une sorte de long poème. (...)


J’ai rencontré Maria Soudaïeva à Macau, entre 1994 et 1999. Elle ne ressemblait pas aux Russes qui arrivaient à cette époque dans le Guangdong, le plus souvent depuis l’Extrême-Orient soviétique, pour se prostituer dans les hôtels et les resorts luxueux de la colonie portugaise. Avec son frère Ivan Soudaïev, Maria Soudaïeva était en train de monter un réseau d’entraide pour les filles de Khabarovsk ou de Vladivostok, qui souhaitaient échapper à leurs souteneurs et à la mafia. (...)


Parce qu’ils étaient rompus aux méthodes et surtout à la culture de la clandestinité, les Soudaïev réussirent à ne pas se faire repérer par les criminels contre lesquels ils se battaient. Leur réseau, de toute façon, ne pesait guère en face des millionnaires du crime, qui géraient dans toute cette partie de l’Asie du Sud-Est des centaines d’esclaves sexuelles. Maria Soudaïeva exécrait la mafia russe et elle vociférait fréquemment contre le nouveau régime et le recyclage des bureaucrates du parti en chefs d’entreprise, quand ce n’était pas en chef de gang. Le capitalisme la dégoûtait : depuis son enfance au Vietnam elle l’avait associé à l’injustice et à la guerre. Mais, même si elle portait des jugements très négatifs sur l’Occident, son obsession restait le monde ex-soviétique, et plus particulièrement le sous-continent sibérien. (...)


Elle prédisait pour l’ex-URSS d’inévitables et immenses malheurs. C’était un discours terrible. Quand elle se laissait emporter, elle y mêlait les visions que sa maladie générait, un écroulement généralisé de l’humanité, l’apparition de nouveaux codes immondes entre les individus et même entre les peuples, la dictature de nouvelles espèces animales, et surtout l’extension infinie de la guerre. On retrouve les échos de tout cela dans Slogans. (...)

Antoine Volodine

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.