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: Théâtre de la cruauté

Nous avions laissé les quatre filles de «Daewoo»* sur le carreau. Broyées par un système appelé : mondialisation et délocalisation. Un destin passé sans état d’âme par pertes et profits d’une économie sauvage, aux portes du néant.
C’est là que l’on retrouve les quatre filles de «Slogans», quelque part dans le «bardo», espace récurrent dans l’oeuvre d'Antoine Volodine, un monde entre la vie et la mort, lieu de résolution pour les âmes blessées. Elles sont aussi dans un futur où le souvenir de l’Union Soviétique date «d’il y a si longtemps… il vaudrait mieux dire cent ans, deux cents ans... avant la guerre généralisée, tous contre tous… les continents en flammes, des espèces mutantes au pouvoir…»
Les filles de Daewoo, comme celles de Slogans, sont des victimes innocentes, sacrifiées sur l’autel du profit, dans une société en guerre.
Maria Soudaïeva, l’auteur des Slogans, ouvre la pièce. Internée dans un hôpital psychiatrique de Vladivostok, Maria Soudaïeva s’est donnée la mort en février 2003 à l’âge de 49 ans. Et c’est bien en morte qu’elle apparaît dans la pièce «Slogans». Une morte qui attend celles qui vont mourir à leur tour, ses «petites soeurs», deux prostituées condamnées par des maffieux, au fond de la cale d’un vieux cargo.
Maria Soudaïeva, femme chamane, nous initie à un mystère théâtral qui évoque la scène chère à Antonin Artaud, où transite le sacré dans une cérémonie réinventée. Antonin Artaud, dont la fureur plane dans les «Vociférations» d’Antoine Volodine et dont l’ambition était de porter «au cours du spectacle, les actions, les situations, les images à ce degré d’incandescence implacable qui dans le domaine psychologique ou cosmique s’identifie avec la cruauté.»
Les slogans sont utilisés à la manière de nouveaux mantras, vengeurs et enflammés. Dans une sorte de rituel magique, leurs proférations, leurs murmures, leurs plaintes et leurs chants, dans cette zone d’après la mort, font apparaître la Mère de toutes les suppliciés, Suzy vagabonde.
Elle veille, tapie dans un repli du temps, femme araignée dont le patient projet est la vengeance.
Dans une savante mise en abîme, Antoine Volodine intègre Maria Soudaïeva et ses «Slogans » selon le principe des poupées russes, où s’imbriquent plusieurs niveaux de réalité.
Entre passé, présent, imaginaire et réel.
Cet espace, ce creuset d’histoire, de mythe et de langage, lieu de passage ou de libération n’est pas sans rappeler la «Zone» du film d’Andreï Tarkovsky, Stalker.
Après la mort, il y a les limbes, après les limbes, il y a le feu. Et le feu vengera enfin les sacri- fiées. Les salves de slogans constituent ainsi l’appel d’un déluge de feu. On peut trouver, à la toute fin, une lueur d’espoir dans ces mots, le dernier slogan : «Les mauvais jours finiront», comme dans le chant de la Commune de Paris «La semaine sanglante». La suite de la chanson : «Et gare ! A la revanche, quand tous les pauvres s’y mettront, quand tous les pauvres s’y mettront !»…


* «Daewoo», texte de François Bon, mis en scène par Charles Tordjman

François Rodinson

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