: Extraits du texte
Moussa
Ils me fixent, me scrutent.
Je suis le grand frère qui revient du merveilleux et étrange voyage carcéral de celui qui a été
contre, contre tout, contre rien. Deux jours ça passe vite. Mais l’air frais c’est tellement bon,
comment faire pour retourner, j’appelle cheveux rouges.
« Tiens le coup »
« Quoi faire ? Rentrer ! »
« Rentre, sois fort. Tu as promis»
Comment résister à l’impression de pouvoir pousser l’horizon avec ses yeux. De pouvoir
brasser l’espace avec ses bras. Vous comprenez comment je peux être « fort » ! Non je ne
rentre pas.
J’ai promis de retourner dans la maison d’acier, dans les nuits d’angoisse. Non moi je suis d’un
autre monde, du monde où la parole se monnaie, se trahit brûle...
Je ne peux pas.
Reprise des contacts, retour dans mon monde, le business qui reprend et les billets qui
tombent, ça finance la cavale. Et les affaires tournent à plein, des euros, des euros à plus savoir
les compter, j’envoie de l’argent à cheveux rouges : pour me faire sortir si jamais….. Il n’y a
qu’elle si je tombe, elle pourra me faire sortir… Des cadeaux pour ses enfants, un petit jouet, un
petit ours et un pot de miel comme ça pour rien en cadeau de famille.
Petit cadeau acheté au supermarché, à cette caissière si belle. Si belle. Au regard qui vous dit
tout, à cette fille qui m’aime. A cette fille qui me fait rentrer dans le doux de son coeur. Qui me
laisse pleurer en l’aimant comme un fou. Une fille rose. Qui caresse mon regard, me prend
doucement par la main et me fait sentir dans le profond de son sein, son coeur battre pour moi.
(...)
Mireille :
Mes doigts, enfin ! Mes ongles décorés, j’adore les vernir ou quand ils cassent je mets des faux
ongles, des longs décorés. La manipulation aux caisses, pas facile, enfin ! Maintenant avec les
scans c’est plus facile de garder ces ongles longs, le secret c’est comment t’attrapes les
produits. J’adore les ongles exposant des motifs, des petites étoiles, des fleurs, des coeurs….
C’est très important mes mains, mes ongles c’est la partie de mon corps que je vois toute la
journée. Je saisis des articles, les passe devant le scanner de la caisse, en automatique, des
tonnes de marchandise passent par mes mains. Puis mes bagues, ça aussi j’adore. Mes
bagues dorées, mes bracelets multicolores. Après ce que j’ai sur le dos c’est la blouse
immonde vantant les mérites du magasin et l’étiquette avec mon prénom : Mireille, comme ci ça
allait arranger l’ambiance.
Mes mains, elles veulent dire que je ne suis pas d’ici, que je ne suis pas que caissière, elles
dévoilent ma personnalité, que je suis quelqu’un qu’il ne faut pas trop, non, pas me prendre
pour une gourde ; d’ailleurs jamais personne ne m’a jamais rien dit et c’est tant mieux, car il n’y
a rien à dire. J’attrape les paquets, de pâtes, rillettes, eau de javel, frites congelées, oeufs frais.
Avec ma voix neutre j’argumente avec des « s’il vous plaît, des merci, des bonnes journées,
des avancez, des permettez, des je peux voir votre sac, des.. ». Et puis des pas grand chose.
Toute la journée les bips du scan, des bruits de papiers froissés, des bruits des caddies, des
réclames, de la musique kilométrique, des bruits de foule docile anonyme.(…)
Cheveux rouges :
(...)
Bonjour, je viens voir mon prisonnier.
Bonjour
Il va comment ?
Bien… on va le chercher.
Une pièce, une table.
L’avocate, je suis la défense, son avocate. Je l’attends, droite comme un I, mon carnet et mon
stylo, des cigarettes posées sur la table.
J’attends mon client. Stable, me prépare à l’ouverture de la porte par le surveillant qui introduira
mon client. Le bruit des portes. Le silence. Il est derrière la porte.
Et si je ne le reconnaissais pas, dans quel état est-il ? Ne pas anticiper sur l’état de l’homme
que je vais voir surgir, il y a un dossier, le sien qui n’avance plus. Lui dire que dans le monde du
mouvement, le temps, son temps c’est arrêté pour lui. Pour le moment pas de mouvement.
Comment lui dire que je n’ai pas plus de nouvelles que le mois dernier et dernier... Il ne s’est
rien passé et il ne se passera rien pendant plusieurs années encore. Comment positiver le rien
pour que le mois suivant puisse passer. Continuer à conter le temps, à croire en moi. Comment
lui dire que personne ne lui veut plus rien.
Oui, je viendrais vous voir le mois prochain, Je vous le promets, vous êtes mon client.(...)
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