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Série B, titre noir et provisoire

+ d'infos sur le texte de Laurent Vacher
mise en scène Laurent Vacher

: Note d’intention

Derrière le mot prison se cache un archaïsme qui me semble venir d’une autre époque, un endroit où il n’y aurait eu aucune évolution depuis la nuit des temps. Cayenne, la torture et la peine de mort plus récemment, ont bien disparu, mais à en lire et écouter les témoignages sur la prison, la modernité et les idées progressistes ne semblent ne pas avoir eu d’influence sur ce lieu.


Par deux fois j’ai été sollicité pour intervenir en tant qu’« artiste » metteur en scène dans des maisons d’arrêt. Comme beaucoup de personnes je lisais dans la presse ou j’écoutais à la radio des propos qui parlaient de crise, d’un système saturé, pas assez dur pour les un, pas assez ouvert pour les autres. Mais je n’avais jamais imaginé une telle réalité, celle que j’allais croiser : un espace sans air où les humains que je côtoyais rebondissaient sans fin dans leur propre angoisse et dans leur propre cauchemar.


Dans un premier temps, j’ai travaillé avec des mineurs dans une maison d’arrêt de la région parisienne. Là, à travers le reflet de l’échec social et scolaire et à travers l’échec de l’insertion sur plusieurs générations, il y avait, au-delà des histoires individuelles, la démonstration de l’échec tout entier de notre société qui n’a pas su détecter ni arrêter les dérives. Derrière chaque histoire, derrière chaque drame j’ai vu s’ériger devant moi la misère sociale et psychologique.


Victor Hugo, Zola, Genet chacun à leur époque ont eu beau écrire et crier, cela n’a rien changé, le prisonnier est resté et reste encore livré au bon vouloir de l’administration pénitentiaire, tous ses droits étant régis par cette dernière. Au bout d’un an d’ateliers j’ai arrêté, rempli de doutes et de questions sur tout ce système. Quatre ans plus tard, j’ouvre un nouvel atelier dans une maison d’arrêt en Lorraine, pour des adultes cette fois-ci. Et, même pour moi qui n’y passe qu’une après-midi tous les quinze jours, la rudesse de l’établissement, la promiscuité et la vétusté des lieux sont d’une grande violence. La misère des hommes que je côtoie est immense, leurs paroles et leurs silences m’interpellent. Se croisent dans cet établissement un panel de personnalités : le gangster patenté, le marchand de barrette, le représentant de commerce sans permis récidiviste, l’accidenté du drame social et familial... Se dresse alors une cour des miracles, miroir de la faille, miroir d’une désintégration sociale et humaine.


C’est à partir de ces impressions croisées et des interrogations qui depuis me hantent que j’ai ressenti le besoin et l’envie de prolonger le débat, de le partager. J’ai voulu donner écho aux bruits des portes et des clefs. J’ai surtout souhaité raconter la profonde solitude que vivent les détenus mais aussi les surveillants, les familles et tous ceux qui traversent ces bâtiments du naufrage.


« Du malheur et de la souffrance des victimes, j'ai, beaucoup plus que ceux qui s'en réclament, souvent mesuré dans ma vie l'étendue.


Que le crime soit le point de rencontre, le lieu géométrique du malheur humain, je le sais mieux que personne. Malheur de la victime elle-même et, au-delà, malheur de ses parents et de ses proches. Malheur aussi des parents du criminel. Malheur enfin, bien souvent, de l'assassin. Oui, le crime est malheur et il n'y a pas un homme, pas une femme de coeur, de raison, de responsabilité, qui ne souhaite d'abord le combattre.


Mais ressentir au plus profond de soi-même le malheur et la douleur des victimes, mais lutter de toutes les manières pour que la violence et le crime reculent dans notre société, cette sensibilité et ce combat ne sauraient impliquer la nécessaire mise à mort du coupable.


Que les parents et les proches de la victime souhaitent cette mort, par réaction naturelle de l'être humain blessé, je le comprends, je le conçois. Mais c'est une réaction humaine, naturelle. Or tout le progrès historique de la justice a été de dépasser la vengeance privée. Et comment la dépasser, sinon d'abord en refusant la loi du talion ?... »
(Extrait du discours de Robert Badinter pour l’abolition de la peine de mort. 1981.)


Le théâtre que je défends depuis plusieurs années est un espace ludique où le fond et la réflexion sont un miroir de notre époque dans le temps de la représentation théâtrale. Aujourd’hui c’est l’espace le plus juste pour maintenir des débats ouverts. Quoi de plus jubilatoire que de sortir d’un spectacle ému, le rire aux larmes, en sentant pousser en soi une force, une pensée. Alors, ce temps éphémère et subjectif de la représentation vous a grandi.


Laurent Vacher.


P.S : si dans cet avant-propos, je cite par deux fois Robert Badinter, c’est que je retrouve dans son discours les arguments essentiels pour les lois et la justice de notre pays, mais aussi une réflexion humaine et citoyenne. Pour ma part j’adhère à la totalité de son discours, au mot près et à la virgule près.

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