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Accueil de « Richard III - Loyaulté me lie »

: (Acte III, scène 7), trad. François-Victor Hugo

Extrait sélectionné dans le cadre du dossier Pièce (dé)montée



Acte II, scène 7


RICHARD paraît sur une galerie supérieure, entre deux évêques. CATESBY revient.


Le maire
– Voyez donc ! voilà sa grâce debout entre deux ecclésiastiques !


Buckingham
– Deux soutiens de vertu pour un prince chrétien, – et qui le préservent des chutes de la vanité ! – Et voyez donc ! un livre de prières dans sa main : – véritable ornement à reconnaître un saint homme ! - Fameux Plantagenet, très-gracieux prince, – prête une oreille favorable à noire requête ; – et pardonne- nous cette interruption – de tes dévotions et de tes très-chrétiennes ferveurs.


Richard
– Il n’est nul besoin, milord, d’une telle apologie. – C’est moi bien plutôt qui vous supplie de me pardonner, – si, dans mon zèle pour le service de mon Dieu, – j’ai négligé la visite de mes amis. – Mais laissons cela. Quel est le bon plaisir de votre grâce ?


Buckingham
– C’en est un, je l’espère, qui plaira à Dieu, là-haut, – et à tous les hommes de bien de cette île sans chef.


Richard
– Je soupçonne que j’aurai commis quelque offense – qui aura déplu à la cité, – et que vous venez pour me reprocher mon erreur.


Buckingham
– Vous l’avez dit, milord. Dieu veuille que votre grâce – daigne réparer sa faute, sur nos instances !


Richard
– À quoi bon, sans cela, respirer sur une terre chrétienne ?


Buckingham
– Sachez donc que votre faute est d’abdiquer – le siège suprême, le trône majestueux, – l’office couronné de vos ancêtres, – la situation due à votre fortune et à votre naissance, – la gloire héréditaire de votre royale maison, – au profit du vil rejeton d’une tige flétrie. – Oui, pendant le doux sommeil de vos pensées – que nous réveillons ici pour le bien de notre patrie, – cette noble île déplore ses membres mutilés, – sa face défigurée par les cicatrices de l’infamie, – sa royale tige greffée d’ignobles plantes, – et presque tout entière plongée dans le gouffre béant – de la noire indifférence et de l’oubli profond. – Pour la sauver, nous vous sollicitons cordialement, – gracieux prince, de prendre en personne – le gouvernement de cette monarchie. Il est à vous. – Prenez-le, non comme protecteur, intendant, substitut, – administrateur subalterne pour le compte d’un autre, – mais comme un légitime héritage transmis-de génération en génération, comme votre empire, votre bien ! – C’est dans ce but que, de concert avec ces citoyens, – vos très-respectueux et dévoués amis, – et à leur ardente instigation, – je viens pour une cause si juste émouvoir votre grâce.


Richard
– Je ne sais ce qui convient le mieux à mon rang ou à votre situation, – que je me retire en silence – ou que je vous réponde par des reproches amers. – Si je ne réplique pas, vous pourrez peut-être croire – que mon ambition, en liant ma langue, consent facilement – à porter le joug doré de la souveraineté – que vous voudriez follement m’imposer ici. – Si, d’un autre côté, je vous reproche cette demande – à laquelle se mêle une si sincère affection pour moi, – je rebuterai mes amis. – Donc, pour parler et éviter le premier danger, – et aussi pour ne pas encourir le second en parlant, – voici définitivement ma réponse. – Votre amour mérite mes remercîments, mais mon mérite – sans valeur n’est pas à la hauteur de votre requête. – D’abord, quand tous les obstacles seraient tranchés, – quand j’aurais devant moi un sentier tout tracé vers la couronne – pour recueillir les droits mûrs de ma naissance, – pourtant telle est ma pauvreté d’esprit, – si forts, si nombreux sont mes défauts, – que j’aimerais mieux me dérober à ma grandeur, – frêle barque impuissante à tenir la mer, – que de m’exposer à sombrer dans ma grandeur même, – abîmé dans les vapeurs de ma gloire. – Mais, Dieu merci, je ne suis pas nécessaire : – car, si je l’étais pour vous aider, – bien des choses me seraient nécessaires. – L’arbre royal nous a laissé un royal fruit – qui, mûri par le cours furtif des heures, – sera digne du siège de majesté, – et nous rendra tous sans doute heureux par son règne. – C’est à lui que je défère ce que vous voudriez me déférer, – le legs fortuné de son heureuse étoile ! – Dieu me préserve de le lui extorquer !


Buckingham
– Milord, voici qui révèle la conscience de votre grâce : – mais, toutes les circonstances bien considérées, – ces scrupules sont subtils et frivoles. – Vous dites que cet enfant est le fils de votre frère Édouard : – oui, mais pas par sa femme légitime. – Car Édouard s’était engagé déjà avec lady Lucy : – votre mère vit encore pour attester sa promesse ; – plus tard il fut fiancé par procuration – à Bonne, sœur du roi de France. – Ces deux femmes mises à l’écart, est venue une pauvre solliciteuse, – une mère accablée d’enfants, – beauté sur le retour, veuve éplorée, – qui, dans le plein après-midi de ses charmes, – a conquis et fixé les regards libertins d’Édouard, – et qui l’a entraîné, du sommet élevé de toutes ses idées, – sur la pente vile de l’immonde bigamie. – C’est d’elle, dans ce lit illégitime, qu’il a eu – cet Édouard que par courtoisie nous appelons le prince. – Je pourrais discuter la chose plus amèrement, – si, par égard pour certaine vivante, – je ne retenais ma langue dans de discrètes limites. – Ainsi, mon bon lord, prenez pour votre royale personne – la dignité qui vous est offerte, – sinon pour nous rendre heureux, et avec nous le pays, – du moins pour ramener votre noble liguée, – de la corruption causée par les abus, – à la succession légitime et vraie.


Le maire
– Acceptez, mon bon lord : vos bourgeois vous en conjurent.


Buckingham
– Ne refusez pas, puissant lord, l’offre de notre amour.


Catesby
– Oh ! rendez-les joyeux, accédez à leur légitime requête.


Richard
– Hélas ! pourquoi voulez-vous amonceler tant de soucis sur moi ? – Je ne suis pas fait pour l’empire et pour la majesté. – Je vous en supplie, ne le prenez pas mal : – je ne puis pas, je ne veux pas vous céder.


Buckingham
– Puisque vous refusez toujours, puisque, dans le zèle de votre amour, – vous répugnez à déposer un enfant, le fils de votre frère, – par un effet de la tendresse de cœur que nous vous connaissons, – de cette sensibilité si douce, si affectueuse, si efféminée – que nous avons remarquée en vous dans vos rapports avec votre famille – et, à vrai dire aussi, avec tout le monde, – eh bien, sachez-le ! que vous acceptiez ou non, – le fils de votre frère ne sera jamais notre roi. – Nous installerons quelque autre sur votre trône, – au mépris et pour la ruine de votre maison ; – et c’est dans cette résolution que nous vous quittons ici. – Venez, citoyens. Sang-dieu ! je ne veux plus le supplier.


Richard
– Oh ! ne jurez pas, milord de Buckingham.


Buckingham sort suivi des citoyens.


Catesby
– Rappelez-les, cher prince : acceptez leur demande ; – si vous refusez, tout le pays en pâtira.


Richard
– Vous voulez donc m’entraîner dans un monde de soucis ? – Allons ! rappelez-les. Je ne suis pas de pierre. – Je me laisse pénétrer par vos tendres supplications, – en dépit de ma conscience et de mon cœur. Catesby sort et ramène Buckingham et les autres. – Cousin Buckingham, et vous, sages, graves hommes, – puisque vous voulez me boucler la fortune sur le dos – pour m’en faire porter le poids, bon gré, mal gré, – il faut bien que j’aie la patience d’endurer le fardeau. – Mais si la noire calomnie., si le blâme à la face hideuse – viennent à la suite de ce que vous m’imposez, – la violence qui m’est faite me lavera – de leurs éclaboussures et de leurs taches. – Dieu sait, et vous pouvez le voir en partie vous-mêmes, – combien je suis loin de désirer cela.


Le maire
– Dieu bénisse votre grâce ! nous le voyons et nous le dirons.


Richard
– En le disant, vous ne direz que la vérité.


Buckingham
– Je vous salue donc de cette royale acclamation : – Longue vie au roi Richard, le digne roi d’Angleterre !


Tous
– Amen !


Buckingham
– Vous plairait-il d’être couronné demain ?


Richard
– Quand il vous plaira, puisque vous le voulez.


Buckingham
– Demain donc, nous ferons cortège à votre grâce ; – et sure, pleins de joie, nous prenons congé de vous.


Richard, aux évêques
– Allons ! revenons à nos œuvres pies.


À Buckingham.
– Adieu, mon bon cousin ! Adieu, chers amis !


Tous sortent.

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