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Regarde maman, je danse

mise en scène Frank Van Laecke

: Identification d'une femme

premier transsexuel de Gand


« Que ceux qui osent se prétendre “normaux” jettent la première pierre. » Paraphrase de la parole évangélique, le commentaire est signé Alain Platel au sortir en 2005 d’un des premiers filages de Regarde maman, je danse, l’histoire d’une vie bâtie hors des chemins de la normalité… celle de l’actrice Vanessa Van Durme. Grâce soit d’abord rendue à Alain Platel qui transforme en chaleureuses retrouvailles le rendez-vous que nous donne Vanessa Van Durme. Car, c’est à travers le travail du chorégraphe et metteur en scène belge que nous l’avions remarquée pour la première fois, alors qu’elle interprétait Tosca, mère courage plus que débordée par les frasques de sa remuante marmaille, une des figures inoubliables du spectacle Tous des Indiens: « Depuis longtemps déjà, j’étais secrètement fan de Vanessa, en tant qu’interprète des drames populaires qu’elle écrivait et montait elle-même. En 1999, j’ai proposé à Arne Sierens de l’inviter à participer à Tous des Indiens. Sans oser l’avouer j’espérais qu’elle allait bien vouloir nous “prêter” le récit de sa vie de “premier transsexuel de Gand” pour notre trilogie des Drames familiaux gantois au théâtre. Mais lorsque, après quelques répétitions, il est apparu qu’elle pouvait jouer – non, être! – mieux que quiconque la mère de quatre enfants, tous de pères différents, la question de son changement de sexe est passée à l’arrière-plan. » Et c’est avec Regarde maman, je danse, que Vanessa, seule en scène, réalise maintenant sous la direction de Frank Van Laecke, le souhait secret d’Alain Platel de la voir nous livrer sa geste personnelle au théâtre.


de l’usage du théâtre


Voici donc le théâtre qui, avec Vanessa Van Durme, se révèle dans la plus haute de ses fonctions, celle d’être un outil de conciliation et de médiation au coeur même des enjeux d’une vie. Il le fut pour Vanessa alors qu’adolescente, elle n’était encore qu’un garçon qui rêvait de devenir une fille. Il le fut à travers sa rencontre avec Alain Platel et Arne Sierens en lui permettant de vivre sur un plateau le fantasme d’être une mère infiniment aimante. Il l’est encore avec ce spectacle en lui offrant la possibilité de ces très tendres confessions. Des moments intimes distillés dans une mise en lumières aussi franche que pudique. Les mille et un tournants d’une destinée contrariée, celle d’un être né au masculin, mais qui sait depuis toujours, qu’au plus profond, sa seule certitude était de ne pouvoir se conjuguer naturellement qu’au féminin. Avec Regarde maman, je danse, c’est le dur miroir renvoyé par la réalité, que Vanessa Van Durme convoque sur scène. Au-delà du cercle familial, celui d’un père qui, sans la comprendre, la reconnaît à jamais comme son enfant, et d’une mère qui culpabilise d’avoir trop désiré une fille et pardonne tout… Vanessa rassemble ici tous ceux qu’elle a croisés au cours de sa quête d’un autre corps. L’aventure aussi dangereuse que mouvementée d’une mue qui ne pouvait aboutir qu’en assumant de s’inscrire dans la fréquentation d’une marge tourmentée. Car ce n’est qu’à l’écart des hypocrisies de la société bien pensante que, pour elle, tout deviendra possible. Le choix d’un détour par les enfers pour accéder au plus pur des objets, celui d’une enveloppe charnelle à l’image de son désir d’identité.


le sexe des anges


Ainsi, il y eut d’abord les cheveux qu’elle se laisse pousser très longs et cette paire de seins qui débarquent un jour sans crier gare et fait tourner les regards de tous les garçons. Deux jolis mamelons qui donnent un temps le change, sans pour autant résoudre le problème d’un sexe qui à force de lui valoir des compliments s’avère décidément toujours aussi encombrant. Après ce furent les années de prostitution, celles des hommes par centaines… Leur haleine et leur souffle lui caressant le cou ou la nuque comme autant de pas en avant sur le chemin choisi pour la délivrance. Enfin, il y eut le voyage à Casablanca, et la violence d’une chirurgie d’apprentis sorciers entre les mains de laquelle, en 1975, il n’y avait d’autres issues que de passer. Puis, la voici enfin femme. Un premier amant considéré comme “un pilote d’essais” et la marge encore avec cet autre qui séjourne à l’ombre et avec lequel elle partage un ersatz de nuit de noces derrière les barreaux. Éminente représentante de ce sexe que, n’en déplaise aux anges, l’on dit troisième, Vanessa Van Durme n’a jamais tourné le dos à la compagnie des hommes et, comme femme, elle connaît leur âpreté mieux que quiconque. Pourtant, comme un élégant leitmotiv, la seule action qu’elle revendique pour qualifier sa démarche est de n’avoir cessé de danser. Danser contre vents et marées, danser face l’incompréhension des autres, danser toujours et danser encore pour mieux amener le monde à se plier à ses fins.

Patrick Sourd

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