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: Christophe Carassou, Olivier Menu, Philippe Peltier jouent un seul personnage : Ohne

Entretiens croisés

Isabelle Demeyère.- Qu’avez-vous pensé quand on vous a proposé d’être l’un des trois acteurs qui jouent un seul personnage ?


Christophe Carassou.- J’ai trouvé ce parti pris très excitant de diviser le personnage en trois et de faire comme si Ohne passait sa vie à l’ANPE. Cela nous laisse beaucoup de liberté puisque l’écriture de ce personnage reste une vraie partition à tenir même s’il y a des variantes par rapport à son défaut de prononciation.
C’est la langue d’Ohne qui nous réunit tous les trois et j’ai l’impression qu’on pourrait avoir tous les trois un Ohne en nous…


Olivier Menu.- C’est une idée saugrenue de ma part mais qui est aussi suggérée par l’auteur qui dit qu’Ohne peut être joué par plusieurs comédiens et qu’il peut y avoir trois employés – l’auteur dans sa mise en scène avait fait un Ohne et trois employés - et il dit même qu’il peut y avoir trois mères. Je suis le Ohne du milieu : j’ai l’âge du fils de Philippe Peltier… J’étais content d’avoir convaincu tout le monde que c’était une bonne idée. Ça les a amusés. Cela dit, le texte pour un seul comédien est une somme difficile car il s’agit de jouer trois fois la même chose différemment…


Philippe Peltier.- C’est excitant ! Et puis cela me permet d’avoir deux camarades et ça va donner trois êtres complètement différents !


I.D.- Comment faire le lien entre les trois âges d’un même homme et comment travailler avec les deux autres comédiens ?


Christophe Carassou.- Le travail n’a pas été vraiment axé sur l’idée de faire le même personnage. On s’est surtout demandé comment on pouvait rentrer dans chaque séquence avec un nouvel Ohne. Nous sommes trois comédiens d’âges différents, avec des expériences de vie différentes et cela crée déjà du jeu. Il y a une vraie simplicité dans le dialogue : si on est vraiment dans les mots d’Ohne, cela joue tout seul. Il faut être juste dans l’échange, dans l’écoute de deux personnes issues de deux mondes opposés : celui de l’employé ancré dans un système et celui d’Ohne en marge d’une société, en décalage. Mais il ne s’agit que d’un échange humain avec ses incompréhensions. Le texte traite de beaucoup de sujets de société autour du travail : des réflexions se mettent en place, on aborde des sujets mais tout reste ouvert.


Olivier Menu.- Il doit être un mais c’est un point de départ qui ne doit pas devenir une grande contrainte. On n’a pas fait le choix de se grimer pour montrer que c’était la même personne qui aurait vieilli… Les contraintes de langage sont différentes dans les trois parties mais on répète la même chose : il s’agit donc bien de l’homme et son double. Philippe a 79 ans et Christophe a une trentaine d’années et en face d’eux c’est le même employé : il y a donc des éléments qui permettent de se dire qu’il s’agit du même homme plus vieux.
Ce n’est pas énoncé dans le texte mais le spectateur peut y penser. C’est une piste qui nous entraîne vers un choeur, celui des trois Ohne.
Dans la 3e partie, on sera derrière lui, nous serons ses fantômes. On a travaillé aussi sur le côté « ange » de la situation : on l’accompagnera dans ses gestes…


Philippe Peltier.- Ça doit être raccord dans l’esprit du personnage, l’auteur a voulu exprimer la multitude des gens qui viennent à l’ANPE.
Cette 3e partie est parfaite pour quelqu’un de mon âge parce que je connais ça par coeur, pointer, et puis je connais bien le milieu ouvrier.
J’ai connu l’intermittence et donc ça m’interpelle : j’ai fait ce que j’aimais mais je n’ai pas gagné d’argent. Je joue depuis 52 ans et aujourd’hui je ne peux pas mettre 10 euros de côté, alors ce texte me parle beaucoup.


I.D.- Comment dire son langage en restant audible tout en montrant la difficulté ?


Christophe Carassou.- Il y a un fil à tenir assez délicat pour ne pas en faire un handicapé : c’est comme si j’apprenais une langue étrangère. Il ne faut pas trop appuyer la différence pour rendre ce langage évident alors qu’il ne l’est pas. J’aimerais que le public s’interroge sur qui est le plus étrange des deux : l’employé au travail enfermé dans un système ou celui qui cherche du travail ? Qui est le plus libre des deux ?


Olivier Menu.- L’idée est qu’Ohne croit qu’il parle bien : dans la première partie, on pourrait penser qu’il s’agit d’un immigré puisqu’il ne dit pas les O mais dans la 2e partie, son langage n’est plus que de la pensée. Donc à nous de nous le mettre en bouche assez bien pour en faire un langage presque normal et ne pas rajouter de l’étrangeté à l’étrangeté.


Philippe Peltier.- J’ai réfléchi à ce que je pouvais apporter en tant que petit poulbot simili démuni. Et moi, qui ai habité Paris longtemps et à la périphérie, je me suis dit qu’il fallait que j’aille vers cet argot parisien que j’entendais dans mon enfance, aux Halles, à La Villette. Et en répétant dernièrement, je lui ai trouvé une couleur : il faut que je travaille dans ce sens ! Il faut que ce soit vécu, pas fabriqué…


I.D.- Qui est Ohne, comment le définiriez-vous ?


Christophe Carassou.- C’est un homme de bonne volonté qui a son univers, son langage mais qui veut bien faire et qui cherche du travail pour exister et pour vivre. Il se dit pauvre et explique qu’il n’a pas fait d’études parce qu’il était obligé de travailler, il a été pris dans ce cercle vicieux. Il explique que sa mère lui a toujours parlé en braillant et qu’il n’a pas eu accès à une éducation de base.


Olivier Menu.- Le demandeur d’emploi est le héros tragi-comique de notre époque. On s’interroge sur le destin de l’homme ordinaire et d’ailleurs a-t-il encore un destin cet homme ? On n’est pas loin de Kafka : cet employé, gardien du tombeau, et cette espèce de confrontation avec le langage pour évoquer sa situation et donc sa drôle d’existence…
On rejoint Joël Pommerat : on est des « marchands », on vend notre vie pour pas grand-chose…


Philippe Peltier.- C’est un bonhomme bien cassé même si le texte présente un certain aspect comique. C’est un homme simple qui n’a pas beaucoup de langage, qui emploie toujours les mêmes mots, et son obsession, c’est d’avoir du boulot. C’est un homme qui a été chahuté par la vie.


Propos recueillis par Isabelle Demeyère (mars 2012)

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