: Epeler son nom
L’existence est faite de hasards (heureux !) et de rencontres…Dominique Wittorski
prenait la voie des sciences lorsque le théâtre l’en détourna : c’est à l’INSAS de Bruxelles
qu’il suivit une formation de comédien, occasion de se confronter intensément aux
écritures dramatiques sans savoir encore qu’il deviendrait, quelques courts-métrages plus
tard, auteur.
Comédien (il a joué sous la direction de Jacques Nichet, Robert Cantarella…), écrivain
(Katowice Eldorado ; Vermeer beau bleu ; Padam, Padam, Pas d’âme !; Iso 9830 ; ReQuiem (with a happy end) ; Un cadavre exquis ; Ohne ; Fleurs de cimetière ; Modeste contribution…), aussi
réalisateur (Correspondance ; Bosna Airlines ; Sans regrets éternels ; Lux Fugit…), et metteur en
scène (de ses propres textes, mais aussi de Molière): l’homme semble insatiable et
toujours aux aguets.
Au plus proche d’une réalité (trop) souvent absente des plateaux de théâtre : celle des
immigrés, des sans-emploi, des ombres – éboueurs, balayeurs, agents d’entretien – qui
peuplent nos villes et nos vies. Que l’on ne voit plus. À ceux-là, rendus muets par la
surdité du monde qui les entourent, il tente de rendre une parole et une langue.
Profondément engagée, son écriture laisse apparaître en filigrane ce que l’on imagine être
sa propre histoire, une histoire d’enfant d’immigrés polonais, venus chercher en Flandres
des lendemains qui chantent.
Les lendemains sûrement se sont tus, comme dans Katowice Eldorado.
On imagine, à l’école, dans les administrations, à l’université, partout, l’épreuve rituelle –
épeler son nom, comme dans Ohne.
De cette culture polonaise, on retrouve – peut-être – la trace dans l’extraordinaire vitalité
des morts qui peuplent ses pièces : en langue polonaise, on ne dit jamais de quelqu’un
qu’il « est mort » (« umarli »), mais qu’il « ne vit plus » (« nie zyje »)… Tant en ce qui
concerne la fille du couple Totl de Katowice Eldorado, qu’en ce qui concerne la mère de
Ohne dans la pièce éponyme, force est de constater que cette brèche linguistique est
l’interstice par où se glissent personnages et éléments clefs…
Motifs de la perte, de l’exil, de l’incommunicabilité.
Dominique Wittorski se confronte, nous confronte à travers ses écrits et ses réalisations
cinématographiques, à des sujets graves – chômage, deuil, trafic d’organes…– avec
toujours, un salutaire humour noir, taillé « à même la langue ». Cette langue des “sans-voix”,
des “plusenvie”, est sans cesse réinventée : dans Ohne, seuls les morts maîtrisent
la syntaxe… Libérés qu’ils sont des travers administratifs et autres délits de faciès.
La langue L’existence est faite de hasards (heureux !) et de rencontres…
Laure Abramovici
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