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Manhattan Medea

mise en scène Sophie Loucachevsky

: Un abécédaire amoureux pour la mise en scène

Manhattan Medea, fidèle aux Médées qui l’ont précédée, est une tragédie de l’exil et, au-delà, de la passion amoureuse. Tous les ingrédients du mythe sont présents chez Dea Loher. Tout est traité et tout est essentiel. Une Médée en 1h15. Un concentré de la passion. Et pour en rendre compte, je veux donner la possibilité aux acteurs d’inventer sur scène leur propre langage amoureux en confrontant à Manhattan Medea, l’abécédaire de Roland Barthes.


Les personnages
VÉLASQUEZ, afro-américain. Artiste peintre. Un portier sur la Cinquième Avenue.
DEAF DAISY, née à Alphabet City d’une veste brune et d’une jupe portefeuille mauve. Un travesti sourd.
SWEATSHOP-BOSS, né d’une mère péruvienne et d’un père russe. Aussi appelé Mr Sawyer (cf. Tom Sawyer). “ Bizness man”, propriétaire d’une maison sur la Cinquième Avenue. Futur beau-père de Jason.
MÉDÉE, sans-papiers à New York. JASON, sans-papiers à New York. Tous deux originaires d’Europe de l’Est. Ont fuit la guerre.


Les rôles d’homme sont doublés. D’un côté Vélasquez et Deaf Daisy ; de l’autre Sweatshop-Boss et Jason. Seule Médée est unique. Manhattan Medea est mis en scène du point de vue de Médée, de son univers mental. Une Médée, comme le dit Barthes dans Fragments d’un discours amoureux qui est “une amoureuse qui parle et qui dit”…


“Le discours amoureux est aujourd’hui d’une extrême solitude. Ce discours est peut-être parlé par des milliers de sujets (qui le sait ?), mais il n’est soutenu par personne ; il est complètement abandonné des langages environnants : ou ignoré, ou déprécié, ou moqué par eux, coupé non seulement du pouvoir, mais aussi de ses mécanismes (sciences, savoirs, arts.) Lorsqu’un discours est de la sorte entraîné par sa propre force dans la dérive de l’inactuel, déporté hors de toute grégarité, il ne lui reste plus qu’à être le lieu, si exigu soit-il, d’une affirmation .”
(Roland Barthes, Incipit de Fragments d’un discours amoureux, Éditions du Seuil, coll. “Tel Quel”, p. 5.)


Dans les Fragments d’un discours amoureux, Barthes décrit le langage physique de l’amour, les multiples signes de la passion.
C’est un véritable traité chorégraphique et sensoriel du langage amoureux. Ainsi à l’écriture ciselée et précise de Dea Loher, répond une analyse chirurgicale du discours amoureux abordé, non par la psychologie, mais par la lettre même.
Prenons l’exemple de la dernière scène entre Médée et Jason. Je tiens beaucoup aux larmes de Jason. Mais il y a mille façons, mille raisons de pleurer. Que dit Barthes dans son chapitre “Éloge des larmes”:


“Peut-être ne faut-il pas renvoyer tous les pleurs à une même signification ? peut-être y a-t-il dans le même amoureux plusieurs sujets qui s’engagent dans des modes voisins, mais différents, de “pleurer”. Quel est ce “moi” qui a “les larmes aux yeux” ? Quel est cet autre qui, telle journée, fut “au bord des larmes” ? Qui suis-je, moi qui pleure “toutes les larmes de mon corps” ? ou verse à mon réveil “un torrent de larmes” ? Si j’ai tant de manières de pleurer, c’est peut-être que, lorsque je pleure, je m’adresse à quelqu’un, et que le destinataire de mes larmes n’est pas toujours le même.”
( Fragments d’un discours amoureux, “PLEURER”, op. cit., p. 214-215.)


Que veut dire, pour un acteur, le fait d’avoir “ les larmes aux yeux”, d’être “ au bord des larmes”, de pleurer “ toutes les larmes de son corps”, etc.? Je demanderai aux acteurs d’illustrer au pied de la lettre ces métaphores pour construire une véritable dramaturgie de la passion. Nous procéderons de cette manière à chaque fois que nous ressentirons un écho, “une possibilité” entre les deux oeuvres…


Catastrophe
“La catastrophe amoureuse est peut-être proche de ce qu’on a appelé, dans le champ psychotique, une situation extrême, qui est “une situation vécue par le sujet comme devant irrémédiablement le détruire” ; l’image en est tirée de ce qui s’est passé à Dachau. N’est-il pas indécent de comparer la situation d’un sujet en mal d’amour à celle d’un concentrationnaire de Dachau? L’une des injures les plus inimaginables de l’Histoire peut-elle se retrouver dans un incident futile, enfantin, sophistiqué, obscur, advenu à un sujet confortable, qui est seulement la proie de son Imaginaire ?
Ces deux situations ont néanmoins ceci de commun : elles sont, à la lettre, paniques : ce sont des situations sans reste, sans retour : je me suis projeté dans l’autre avec une telle force que, lorsqu’il me manque, je ne puis me rattraper, me récupérer : je suis perdu, à jamais.”
( Fragments d’un discours amoureux, “CATASTROPHE”, op. cit., p. 60.)


Étreinte
“Le geste de l’étreinte amoureuse semble accomplir, un temps, pour le sujet, le rêve d’union totale avec l’être aimé. (…) c’est le moment des histoires racontées, le moment de la voix, qui vient me fixer, me sidérer, c’est le retour à la mère (…) tous les désirs sont abolis, parce qu’ils paraissent définitivement comblés.”
Mais au milieu de cette étreinte, le désir ressurgit, ”le vouloir-saisir revient (…) je veux la maternité et la génitalité”, l’amoureux est “un enfant qui bande”.
( Fragments d’un discours amoureux, “ÉTREINTE”, op. cit., p. 121-122.)


Exubérance et Fête
“Le sujet amoureux vit toute rencontre de l’être aimé comme une fête.” L’exubérance amoureuse, c’est “la Dépense amoureuse (…) sans frein, sans reprise (…), et qui est égale à la Beauté (…) c’est l’exubérance de l’enfant dont rien ne vient (encore) contenir le déploiement narcissique, la jouissance multiple. Cette exubérance peut être coupée de tristesses, de dépressions, de mouvements suicidaires, car le discours amoureux n’est pas une moyenne d’états…”
( Fragments d’un discours amoureux, “FÊTE” et “DÉPENSE”, op. cit., p. 139 et p. 101.)


etc.

Sophie Loucachevsky

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