: Note de mise en scène
Sur le plateau, un lit et un fauteuil. Une chambre close sans porte. Les murs ne sont pas
ceux du théâtre, ils sont délimités par le regard et le geste des comédiens. La lumière aussi
crée le sentiment d’enfermement, elle ne prend pas tout l’espace de la chambre. Les
comédiens la cherchent, comme pour trouver de petites libertés.
Deux corps se côtoient sans jamais se rencontrer. Pourtant les deux corps bougent. Ils ont la
liberté de se mouvoir dans l’étroitesse de la chambre close. Chaque mouvement de l’un
interagit avec le mouvement de l’autre, mais comme un hasard. Les mouvements semblent
chorégraphiés par le hasard. Ils vivent, bougent, dans le même univers restreint mais semblent
séparés. Une frontière invisible les tient éloignés. Ils ne se voient pas et ne peuvent pas se
comprendre.
« Le rapporteur » de Carlos Liscano et « La mort de Marguerite Duras » d’Eduardo Pavlovsky,
nous racontent deux solitudes, celle de l’esprit, de la pensée, des souvenirs cachés enfouis.
Souvenirs qu’il faut décortiquer pour se reconstruire chez Liscano et pour accepter sa fin chez
Pavlovsky. Ces deux hommes (je parle des personnages) nous questionnent sur les choix. Les
choix de nos vies et leur acceptation. Le personnage de Liscano nous dit que l’on ne prend pas
toujours le bon chemin dans la vie. Celui de Pavlovsky se rend compte qu’il avait le choix.
Ma volonté de mêler ces deux textes n’est pas de les poser sur la balance de la justice ; la
victime et le bourreau ne nous parle pas du bien et du mal, mais de l’Humanité face aux choix.
Même s’ils s’en défendent Pavlovsky et Liscano nous laissent un témoignage passionnant car
ils ont puisé dans leur propre vie, dans leur Humanité ces mots qu’ils nous livrent.
Mon travail maintenant est de les faire se parler, se répondre.
Entremêler les monologues, choix fondateur de la mise en scène.
Un décor, simple. Un lieu commun aux deux hommes. Une chambre d’hôpital, peut-être. Une
maison de repos… Un lit, un fauteuil. Dénuement matériel qui participe au vide de leur
solitude, se raccrocher tant bien que mal à ce qui leur reste, quelques bouts de papier froissé,
vestige de leur passé. Ce qui leur est offert? Deux objets de repos… mais eux ne peuvent pas,
ne peuvent plus s’endormir. Trop de pensées, de souvenirs douloureux les assaillent. Ils ne
sont pas en paix, ils cogitent sans arrêt. Traduire dans l’interprétation cette agitation
permanente sans brouiller l’objectif du voyage. Tension des corps, suspension et action
simultanée, dans le même temps, le même espace de jeu. Juste les mots qui se déroulent
des bobines de leurs folies.
Eclairer la route des pérégrinations mentales de ces êtres face à leurs peurs, leurs certitudes,
leurs corps, malade pour l’un, torturé pour l’autre. En prenant le temps, temps de la rencontre,
apprivoisement de la densité des textes, que chaque mot ne soit pas laissé au hasard. Travail
minutieux d’interprétation, faire résonner chaque mot en lui-même et en écho avec l’histoire de
l’Autre. Celui d’à-côté, celui qui est là, aussi. Et que la grande Histoire n’a pas épargné, lui non
plus.
Respiration, calme, douceur des comédiens contrasteront avec ces textes sinueux tout comme
l’esprit des Hommes l’est souvent. Un voyage en référence à David Lynch.
Lâcher prise, laisser-aller, parcourir les ombres des pensées obscures.
Tout l’enjeu sera de faire se correspondre les deux textes, les faire dialoguer, et surtout en faire
ressortir l’humour…dérisoire pour l’un, ironique pour l’autre.
Ces deux hommes pourraient être à des milliers de kilomètres l’un de l’autre ou se tenir
par la main, ils sont les frères de la même infortune, bien qu’ils marchent sur les rives
opposées.
Je voudrais que ces deux humanités se rencontrent. Comme deux amis qui ne se
connaissent pas encore.
Je suis comédien avant tout autre chose, mon désir premier est d’incarner, d’animer, de donner
la vie à des personnages évidemment, mais plus encore à des situations. Des situations dans
le jeu même d’une représentation, d’une pièce, mais également créer l’insolite, par un acte qui
se produit là où il ne devrait pas et du même coup donne au spectateur la bizarre impression de
participer au dit acte. Au cours de ma vie de comédien, j’ai pu expérimenter ce phénomène,
tout d’abord avec Anne-Laure Liégeois dans « Le fils » de Christian Rullier où le public
déambulait dans une usine désaffectée; perdu comme les personnages, il pouvait se planter
devant un spectateur lui aussi égaré en étant persuadé de voir du théâtre. Dans ce retour en
arrière nécessaire à la construction de l’avenir je me rends compte d’une chose, que ce soit aux
ateliers amateurs du Campagnol de mes débuts, jusqu’aux campements théâtraux « d’Etranges
Etrangers » dans les cités de l’Essonne pour la compagnie l’Amin Théâtre, je n’ai tendu que
vers un seul objectif : la rencontre avec le public. Pour moi le quatrième mur n’existe pas.
Même dans un jeu fermé entre deux comédiens, la structure du théâtre ouvre au public. Et c’est
bien de cela dont il a été question avec ma première création « Epopées Intimes » et de cela
dont il sera question avec « J’écoutais le bruit de nos ». Juste deux comédiens, deux corps
sur le plateau, deux personnages solitaires, et deux textes d’une puissance telle que la
force de l’imagination emporte les spectateurs loin, loin, loin, au-delà des murs du
théâtre, au-delà de la peur de la mort, au-delà de l’angoisse de la torture, au-delà de
l’inconnu de ce que demain sera fait, emporte les spectateurs dans l’essence même de la
vie.
Mathieu Desfemmes
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