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Accueil de « Le Journal d'une autre »

: Contexte & contenu des entretiens - Création

En 1941, une amie écrit à Lydia Tchoukovskaïa : « j’espère que les gens sauront un jour ce que nous avons vécu… ». Les « Entretiens » essayent de témoigner de cela.
Au cours du temps et des évènements, Lydia note chaque geste, chaque impression, chaque propos de ses rencontres avec Anna Akhmatova.
Ce pourrait être un journal intime, mais elle ne veut pas raconter sa vie. Cette forme « journal », généralement vouée à soi-même, est ici dédiée à une autre.
Ce n’est pas non plus une biographie. Lydia rend compte du présent. Le passé est évoqué, mais ce qu’elle s’attache à décrire, c’est ce qui leur arrive « maintenant ».
Ce présent qu’elles traversent est effrayant, violent, fait de pressions et d’inquiétudes : déportations du fils d’Anna et du mari de Lydia, interdiction d’édition, perquisitions, censure, menaces d’arrestations, de déportation et de tortures, surveillance permanente, provocation par voies de presse.
Les « Entretiens » commencent en 1938, au coeur des purges staliniennes, alors que l’injonction est de ne pas penser par soi-même, mais selon la doxa, la règle et le mythe de l’idéologie régnante. On ne peut plus avoir de point de vue sur le réel, le pouvoir s’est substitué à lui. Dans ce contexte, celui qui s’exprime « subjectivement » se trouve en posture dangereuse.
Dès lors, en quel nom les poètes peuvent-ils s’exprimer ?
Comment prend-on la parole pour un peuple au-delà de soi-même, sans faire uniquement acte de propagande ?
Nombreux sont ceux qui paieront de leur vie d’avoir tenté de répondre sincèrement à ces questions. Elles transfigureront la poésie de ceux qui ont adhéré à l’idéal révolutionnaire, comme de ceux qui l’ont subit sans le suivre.
A travers la poésie d’Anna, Lydia cherche à rattraper une réalité qui lui échappe, une vérité sur elle-même et ce qui l’entoure. Elle dit : « Au milieu du monde trouble, fantastique et peuplé d’ombres qui m’entouraient, elle seule semblait de chair et d’os, elle dont les vers pourtant, à cette époque, ne parlaient que d’ombres… ». Entretiens maïeutiques. A travers l’autre, se (re)trouver soi-même.
Quotidiennement, et parfois plusieurs fois par jour, se donner des rendez-vous, se téléphoner pour entendre « cette voix qui dit que nous ne sommes pas encore morts. » Elle prend note en langage codé des moindres détails de ses rencontres avec la poétesse. Dans la petite chambre de l’appartement communautaire, sans cesse en butte aux incursions des voisins et des agents du NKVD, on partage les gâteaux, les livres, les blagues salvatrices, les deuils et les secrets. On partage aussi, et surtout, les poèmes : « Requiem » (poème dédié à toutes les victimes du stalinisme) ou d’autres encore « Le caveau de la mémoire », « Le poème sans héros », qu’Anna faisait apprendre par coeur à Lydia avant de les brûler. Directement de l’esprit de l’une dans la mémoire de l’autre, comme si l’humain était le seul papier possible où inscrire cette poésie vitale.
Dépositaire de ces trésors, Lydia gardera ainsi « Requiem » en elle de 1938 a 1962, date à laquelle il sera pour la première fois tapé à la machine.

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