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Le Ciel de Nantes

mise en scène Christophe Honoré

: Un autre héritage

par Éric Vautrin

Le dispositif dramaturgique permet de témoigner de la bascule d’une époque en grande partie révolue – la société prénumérique des années 50 à 80 semble déjà lointaine. L’imaginaire, à travers ce film raconté, fait revivre un temps perdu.


DESTINS FAMILIAUX SUR FOND D’HISTOIRE SOCIALE


La famille de Christophe Honoré est marquée par des tragédies récurrentes : morts, suicides, isolement ou dépression, avec en arrière-plan la précarité sociale. Une famille qui se délite peu à peu, où les liens ne s’accordent plus avec les destinées de chacun·e. Certes ces récits témoignent de vies qui, comme toutes les vies, traversent et font résonner l’histoire sociale et politique – dans ce cas, de la France et de l’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Elles reflètent l’évolution des mœurs ou de la place des femmes au sein des familles et dans la société, la bascule de la classe ouvrière d’un extrême à l’autre de l’échiquier politique en moins de trente ans ou le passage de l’immigration ouvrière des années 50 à la banalisation du racisme des années 80.


S’ATTACHER À LA DIMENSION ROMANESQUE OU LE PRÉSENT COMPOSÉ


Mais Christophe Honoré en retient davantage la dimension romanesque, qui porte au-delà de chacun·e des protagonistes, de sa condition et de son contexte historique. Il ne s’agit pas de se faire le héraut d’une classe ouvrière à laquelle il n’appartient plus, mais davantage de sonder les liens, complexes et multiples, qui subsistent entre ces histoires, cette époque et notre présent. Distancier toute critique sociale fait ressortir la question de l’héritage, de la transmission, de la manière dont chaque génération prend en charge – comme responsabilité, comme poids, parfois comme absence – la génération d’avant elle. Ce qui hante le présent et ce sur quoi il se fabrique, ce qui nous lie à nos parents, à notre famille et à l’histoire sociale récente vue du point de vue des personnes, des corps et des récits transmis.


De ce point de vue, les récits de cette famille sont remarquables par la dissolution apparente d’héritage au sens courant de capital (financier, culturel) et les liens malmenés entre parents et enfants et entre frères et sœurs, par la fuite, l’incapacité ou la mort précoce : peu d’aide, peu de modèles, peu de valeurs sont transmis. La société change et le contexte social comme les tragédies familiales défont l’entraide intergénérationnelle.


Le Ciel de Nantes ne raconte pas l’histoire récente de la France ou de la classe ouvrière, qui résonne comme en arrière-fond (à l’instar du sida et de la France des années 80 dans Les Idoles – le sujet est ailleurs). Le spectacle s’attache davantage à décrire l’intrication des liens – familiaux, affectifs, sociaux, politiques – entre un groupe de femmes et d’hommes pour réfléchir à ce qui reste aujourd’hui de ce passé récent et composite ou composé dans lequel se tressent ensemble le personnel et le collectif, l’affectif et le socio-historique. Il ouvre grand la question : que veut dire hériter quand il n’y a ni argent, ni patrimoine, ni belles histoires mais que la défaite d’une famille empoisonnée par la détresse ?


  • Éric Vautrin, dramaturge du Théâtre Vidy-Lausanne
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