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Juillet

mise en scène Lucie Berelowitsch

: Entretien avec Lucie Berelowitsch

Juillet : un rapport aux mondes

Parcours
J’ai grandi dans une famille franco-russe. J’ai d’ailleurs d’abord été formée au Conservatoire de Moscou (GITIS) en 1996 puis à l'Ecole de Chaillot en 2000 et les allers-retours entre Paris et Moscou rythment mon parcours depuis toujours.
En 1997, j’étudiais au GITIS à Moscou, dans la section théâtre musical, dirigée par Oleg Koudriachov, (je suis moi-même musicienne) lorsqu’Alain Ollivier m’a proposé de jouer un très beau rôle. Il montait Ange Noir de Nelson Rodriguez, un auteur brésilien, à la MC 93 de Bobigny. J’ai alors commencé à travailler régulièrement comme comédienne avec notamment Bérangère Jannelle (Le Décameron, au CDN de Lorient en 1999), Olivier Py (Les Sans papiers au CADO d'Orléans en 1999), Christian Dente (La Ronde au Centre Dramatique de la Courneuve en 2000), et Madeleine Marion (L'Echange, Théâtre du Rond Point en 2000)
Mais un peu par hasard, la Russie est revenue. En 2001, un metteur en scène (Philippe Arlaud ) montait La Traviata de Verdi au Théâtre Marinsky de Saint-Pétersbourg et au Festspielhaus de Baden-Baden sous la direction musicale de Valery Guerguiev, aujourd’hui directeur de l’orchestre symphonique de Londres. Il cherchait une assistante à la mise en scène connaissant la musique et sachant parler le russe…
Pour la première fois, je n’étais pas sur le plateau. Je reliais mes réflexions intellectuelles et mon travail dramaturgique à mon activité théâtrale.
A mon retour, un trio d’amis musiciens classiques qui travaillait sur L’Histoire du soldat de Stravinsky et Ramuz m’a proposé de les accompagner par un regard extérieur. Nous avons monté une maquette avec quatre acteurs et ce trio de musiciens. Cette maquette a été vue notamment par IMG ARTISTS qui m’a proposé de produire le spectacle. Nous sommes alors partis en 2002 en tournée avec ce spectacle.
A l’issue de ce spectacle, nous avons créé notre compagnie : Les 3 sentiers.
Pour moi, ces trois sentiers étaient et sont encore : poésie, musique et théâtre.
J’ai monté par la suite L’Oiseau de feu d’Igor Stravinsky que j’ai traduit et adapté. Il s’agissait d’une pièce pour comédienne et accordéon qui a aussi tourné pendant un an. Puis un spectacle est né à partir de l’adaptation musicale et sonore de poèmes de Verlaine. J’ai également monté Morphine de Boulgakov avec deux acteurs et un dispositif vidéo.


France-Russie
J’avais depuis très longtemps l’envie de monter une pièce entre la France et la Russie pour faire entendre les deux langues. Lorsque je travaillais sur L’Oiseau de feu j’avais découvert un conte très amoral, Le Gars, de Marina Tsvétaïeva, une grande poétesse russe exilée après la Révolution d’abord à Prague puis à Paris. Dans ce conte une jeune femme tombe amoureuse d’un vampire qui va décimer sa famille mais dont elle restera amoureuse malgré tout… Il se trouve que Tsvétaïeva a d’abord écrit ce conte en français puis l’a réécrit en russe à son retour en Russie.
Ce texte existe donc dans les deux langues et le texte français seul autant que le texte russe seul sont bancals. Il manque à chacun d’eux d’eux un pendant. Une fois mis en miroir, ils prennent toute leur ampleur.
A commencé à germer en moi l’idée de mettre en scène Le Gars avec quatre comédiens français, quatre comédiens russes, quatre musiciens russes et de co-mettre en scène ce texte avec Vladimir Pankov que j’avais rencontré au Gitis à Moscou lors de ma formation. L’idée était de créer ce spectacle sans surtitre : en France les spectateurs recevaient le texte russe de manière musicale et énergique.
En Russie, s’opérait l’inverse : le texte français devenait musical. Cela a été pour moi l’occasion de retrouver Ivan Viripaev : je l’avais rencontré dix ans auparavant au Festival Passages à Nancy où il était programmé pour la première fois en France avec son texte Oxygène mis en scène par Galin Stoev.


Une écriture coup de poing
L’écriture de Viripaev a parfois la radicalité des écritures contemporaines américaines mais sous-tendue par des strates proches de Maïakovski ou de Dostoïevski, de religion orthodoxe et de contes traditionnels aussi. Viripaev est venu voir Le Gars à Moscou. Il m’a envoyé Juillet en russe. « Imagine –m’a-t-il dit– un homme amoureux, réduit à rien, attaché à un lit, et qui réclamerait à une femme son coeur et sa main… sauf qu’il lui couperait la main et lui mangerait le coeur. Imagine une femme très belle, qui viendrait sur un plateau pour raconter la Beauté et délivrerait des horreurs ».


D’une actrice à deux acteurs.
Cette histoire folle de serial killer est, comme l’indique l’auteur dans les didascalies, racontée par une seule femme. Cette femme raconte et n’a d’ailleurs à voir ni avec cet homme, ni avec toute la violence qu’elle livre sans pathos.
J’ai voulu en ce qui me concerne proposer le texte à deux acteurs notamment à cause de la scène d’amour. Au moment où se raconte cette rencontre amoureuse, je souhaitais voir petit à petit les choses s’incarner et que l’action sur le plateau fasse naître les personnages de la narration. J’étais très touchée par cette rencontre amoureuse qui semble être celle de deux adolescents de 13 et 14 ans. Tout alors devient possible, tout le sang est lavé…


Acteurs-créateurs :
J’avais besoin d’acteurs-créateurs pour ce long monologue. La comédienne, elle, ne devait pas poser d’emblée la question de la féminité mais devait pouvoir jouer sur ce code.
J’ai choisi Charline Grand. Elle a été formée à l’Ecole du TNB notamment par Claude Régy, François Tanguy, François Verret et bien sûr Stanislas Nordey. Quant au choix de l’acteur, il est bien sûr plus ambigu. La première didascalie du texte « Une femme entre pour interpréter ce texte » exclut la présence d’un homme. Il y a donc eu une résistance naturelle de la part du texte mais la transgression était pour moi fondamentale.
Comme l’actrice, qui n’est pas cet homme de 60 ans, l’acteur n’est pas non plus cet homme de 60 ans. Mais l’endroit de jeu, entre incarnation et narration, est beaucoup plus subtil à obtenir.
Pascal Tagnati, que j’avais vu jouer Hamlet de Koltès sous la direction de Thierry de Peretti au Théâtre de la Bastille, avait un grand désir assez instinctif de partir travailler en Russie… Dès qu’il est arrivé, sa présence sur le projet a été évidente et il a su trouver l’engagement, et le rapport juste. Pascal est aussi musicien, metteur en scène et a créé notamment un spectacle sur des poèmes de Jim Morrison.


Musique
Pour la première fois j’ai travaillé avec Sylvain Jacques. La musique n’est pas en direct sur le plateau. Juillet appelait une musique mentale, diffuse, et devait exprimer la musique trottant en permanence dans la tête du protagoniste.
En fonction de qui l’écoute, elle peut être absente ou totalement omniprésente. Sylvain Jacques est musicien, mais il a d’abord travaillé comme acteur avec Patrice Chéreau (Son frère, Ceux qui m’aiment prendront le train) ou Luc Bondy (Phèdre). Sur Juillet, il a travaillé en totale interaction avec les acteurs pendant les répétitions, en dialogue permanent avec leurs propositions.


Espace
Même dialogue avec le scénographe, Sébastien Michaud, qui est aussi créateur lumière sur le spectacle. L’espace est né au cours des répétitions. La première question était : « Comment raconter un lieu de l’après ? » Nous avons bien sûr beaucoup pensé à Stalker de Tarkovski et un livre de photographies de Guillaume Lemarchal, Paysage d’après, nous a aussi beaucoup marqués. Trouver un espace de jeu où seuls les mots peuvent garantir la survie, où deux enfants survivants peuvent se retrouver pour se raconter des histoires pour ne pas mourir semblait correspondre avec la vitalité de l’écriture de Viripaev.


Propos recueillis par Jérôme Sallé, juin 2010

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