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Caligula

+ d'infos sur le texte de Albert Camus

: Caligula – une enfance chez les barbares

On dit qu’enfant, Caligula et ses frères et sœurs se comportaient tel que la nature les avait faits, ignorant tout des ressorts de l’hypocrisie. S’il est devenu plus tard cynique et sans illusions c’est aussi parce que Rome était devenue un champ de massacre où son père Germanicus était lui-même tombé sans que sa fin ne soit jamais élucidée. Sa famille fut d’ailleurs presque entièrement anéantie.


Alors qui est Caligula ?


Régulièrement en proie à des terreurs nocturnes Caligula souffrait de sautes d’humeur brutales, passant de phases d’agitation extrêmes à des périodes de profonde lassitude. C’est souvent parce qu’il est égaré ou effrayé qu’il commet les pires excès. Et nombre de jeunes nobles à Rome se conduisaient à peu près de la même manière. De plus tous les désordres de son comportement étaient aggravés par de lourds abus d’alcool. Caligula était un jeune étalon qui refusait de se laisser brider. C’était comme s’il se précipitait au-devant de tous les vices qui détruisent simultanément le corps et l’âme, se fuyant lui-même et suivi par lui-même comme un chien de l’enfer.


Caligula était d’allure gauche et un peu ingrate. Atteint de calvitie précoce et ayant souvent recours aux postiches et aux artifices du maquillage. Quant à son visage, naturellement affreux et repoussant, il s’efforçait de le rendre plus horrible encore, en étudiant devant son miroir tous les jeux de physionomie capables d’inspirer la terreur et l’effroi.


Empereur d’une fausse république, régnant dans ce sombre climat de suspicion et de délation inhérent au despotisme. Un monde froid et cruel, répugnant réceptacle de commérages et de calomnies où les sentiments généreux sont systématiquement anéantis par l’habitude de la crainte et de la soumission.


La République et ses valeurs purement romaines d’honneur et de mérite étaient bien mortes pendant que la violence et la corruption entraient dans les mœurs. Face au conservatisme frileux et à la veulerie des dignitaires et des notables le spectateur est toujours tenté de trouver une justification aux excès de Caligula. D’ailleurs à l’époque les humiliations qu’il faisait subir aux nobles et à la classe sénatoriale enchantaient le peuple.


Caligula est toujours demeuré depuis l’enfance et bien après, malgré ses écarts, l’« enfant chéri » de la foule et des armées. Plus populaire que ne le furent jamais Auguste et Tibère son prédécesseur, Caligula a hérité de la renommée de son général de père, Germanicus. Il grandit à l’écart, convaincu par sa mère qu’il était entouré d’ennemis.


Un homme qui un jour pense qu’il est un dieu et le suivant semble un enfant effrayé. Un homme qui rit en ordonnant une exécution et fond en larmes s’il voit son cheval revenir boiteux. Un homme qui, les nuits d’orage, se cache la tête sous les draps et le jour a le courage d’inciter à son propre meurtre.


Peut-être, si l’Empire n’avait jamais été créé, aurait-il pu être un homme de bien ? Il se savait entouré d’une cour d’assassins, de menteurs et de fourbes. Il était l’un des hommes les plus seuls de son temps, même ses sœurs avaient comploté son assassinat.


Et puis quoi après Caligula ? La guerre civile ? L’insurrection ? Le meurtre et l’anarchie ? Ce fut sa plus grande tentation : déchaîner l’anarchie sur son palais et sur le monde. Il ressentait le voluptueux pouvoir du destructeur. C’était sa plus belle extase.


Suétone rapporte ce mot de Caligula expirant : « Je suis encore vivant ! ». Et cet autre petit fragment : « Ce que vous ne comprendrez jamais c’est que je suis un homme simple. » Car que peut-on bien faire de sa vie quand le besoin d’absolu ne trouve nulle part de réponse ? Quand on aime le monde avec la force du désespoir et avec une crainte de le perdre qui en fait mieux encore ressortir les beautés ?


La pièce de Camus tourne comme aimantée autour d’un axe unique, la mort, comme autour d’un soleil. Elle s’ouvre sur la mort, celle de Drusilla, la sœur de l’empereur, son unique amour et son unique refuge.


Caligula est bel et bien la chronique d’une mort annoncée et réclamée par un homme qui n’a jamais officiellement renoncé à l’enfant qu’il était et qui, pour fêter l’occasion, danse face au miroir en attendant que s’abatte sur lui la sentence.


Tout le monde croit que Caligula est devenu fou. Rien n’est moins sûr. Il se peut au contraire qu’il ait fait la preuve de sa lucidité en prenant Rome pour l’enfer qu’elle était devenue. Rome méritait Caligula et Caligula méritait Rome.


Quant au rôle de Caligula il réclame de l’acteur une souplesse virtuose. Les contradictions fondamentales du personnage s’offrent à l’acteur en même temps qu’elles réclament de lui une qualité complexe et une aptitude au vertige. Caligula est-il sincère ? Lui-même doit l’ignorer souvent.


Et c’est la rencontre artistique avec cet acteur, Bruno Putzulu dont j‘ai pu admirer souvent l’aptitude au déséquilibre et au funambulisme qui sera motrice de l’ensemble . Un acteur tel que lui, capable de prêter au rôle force et vista comique en même temps qu’une vulnérabilité quasi enfantine et tout cela dans un corps plus proche du modèle historique bien plus intéressant qu’une frêle icône romantique. Bruno est un acteur qui comprend et sent très bien la poésie et le lyrisme d’une langue tout en sachant la relier au concret, au terrien. Si j’ai choisi Bruno c’est aussi parce qu’il a l’amour de la troupe, de l’oeuvre menée sur un mode collectif. Sa longue expérience de huit ans à la Comédie Française l’atteste. Je sais qu’il n’a de cesse de rechercher la compagnie d’un groupe enthousiaste et rigoureux, entièrement fédéré autour d’un projet artistique ambitieux.


Camus écrivit à la fin de sa vie une phrase qu’il aurait très bien pu prêter à son Caligula : « J’ai échappé à tous et j’ai voulu d’une certaine manière que tous m’échappent. »


Le pari de Camus dans cette pièce comme ailleurs dans son œuvre est d’affirmer qu’il y a toujours plus à admirer qu’à mépriser dans l’homme.

Stéphane Olivié Bisson

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