“Tancarville” fonctionne aussi comme un symbole tragique, c’est le dernier passage, un Styx normand, dont Marie est le nocher.
La rupture est tragique par essence : que la fille aide au passage est peut-être doux, mais on aimerait que l’accompagnement soit plus paisible sans avoir à vider son sac.

Louise s’attendait à voir Orphée plutôt que Caron, un dernier petit rêve de Belle-au-bois-dormant réveillée et enlevée par un prince charmant. Mais Orphée ne la sort pas des enfers, au contraire, elle lui signifie sa place à l’hospice “en attendant”, l’hospice est pour Louise une anti-chambre de la mort, dont elle fera l’économie.

Malgré les années difficiles, Louise semble attendre de Marie la protection et la tendresse qu’elle n’a jamais su lui donner. Dans ce Noman’s Land — les hommes sont absents de la pièce : le père est mort et le frère, contrairement à ce qu’on aurait pu croire eu égard au lien mère-fils qui fonctionne comme une nécrose entre Louise et Marie, n’apparaîtra pas. Marie ne jouera pas Orphée. Elle descend dans l’enfer hospitalier, tente de réparer, autant pour atténuer ses propres souffrances que celles de sa mère, cherche des réponses à cette incompréhensible incompréhension mais ne ramènera pas Louise-Eurydice des enfers.
La pièce se transforme, échappe au réalisme, traverse le mythe, la rencontre du fantôme de Louise et de Marie aura effectivement lieu. Qui visitera l’autre ? On ne sait pas, mais sans doute n’ont-elles jamais été aussi proches que dans cet au-delà des choses.
Le drame de ces femmes est que l’une et l’autre ont cette nécessité de réconciliation, de tendresse et de fusion.
La mère et la fille : se retrouver. Problématique durassienne.
Besnehard touche très justement cet espace ténu où l’impossible se rapproche du possible, les pensées si souvent tournées et retournées dans les mémoires en deviennent amères.

Christophe Lemaître