On ne peut réduire Arromanches au passage de la vie à la mort, les lignes du texte ne sont jamais lâchées en liberté, chaque ligne a sa fonction et se referme sur un centre — c’est la condition pour qu’une pièce existe en tant qu’unité. Le passage est le centre dramaturgique où vont converger les rayons — les lignes — du texte.

On passe du dehors, de la ville avec sa vie et ses bruits, à l’ambiance médicalisée de l’hôpital. J’imagine une chambre ultra médicalisée, technique, une lumière bleutée, un sol blanc qui contraste avec le vivant : le corps sculpté de Louise, ses mains qui racontent la terre, la difficulté du travail.
Ce corps attaché au sol, est projeté proche du ciel, au 19ème étage, chambre 54.

Marie, professeur de français, incarne la ville, elle a fui la campagne, les animaux et la terre, ses mains n’ont pas d’histoire. Mais le corps trahit et elle est malgré elle entre deux ; elle fait le lien entre le passé et le présent, la ville et la campagne, le sol et le 19ème étage, la rudesse et la tendresse, les silences et les mots, l’adulte et l’enfant.
La véritable trahison c’est le passage d’une culture à une autre. D’une culture de la terre à celle des livres. La communication ne se fait plus, chacun campant sur ses certitudes et ses paradoxes : la fierté d’une fille de la campagne qui devient institutrice, la fragilité de l’institutrice qui trahit la fille de la campagne. Le corps rappelle d’où l’on vient, la raison commande un élan vers l’ailleurs, une rupture mais forcément virtuelle, la réelle est celle d’Arromanches, de ce relais d’une vie à une autre.

Marie incarne le passage. On passe de la vie à la mort, comme on traverse un fleuve, le pont est construit. Tancarville permet de relier deux êtres, même si tout est compliqué ; le pont est fragile et permet juste de passer de l’autre côté.

Christophe Lemaître