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Couverture de Polywere

Polywere

de Catherine Monin


Polywere : Extrait 3 5p. 62 à 63]

Avec l'aimable autorisation des Éditions Quarttet dans le cadre du Prix Sony Labou Tansi

EMMANUEL. – Je me lève. Fort du brame, fort de cet appel.
Je me racle la gorge plusieurs fois.
Je me lance moi aussi à sortir quelques grumeaux.
Une langue de démarrage.
Et je me mets à parler pour la première fois tout seul dans la forêt.
Et je me mets à parler pour la première fois tout seul depuis longtemps.
Les premiers mots me semblent ridicules et font pavé dans la mare.
Une sortie de coureurs numérotés qui feraient jogging en plein bois.
Et puis petit à petit je m'amuse à dire, à nommer ce qui m'environne.
Tout prend une vie différente, crapaud, eau, soleil, mouche, branche, sève et je continue et m'enivre d'appeler, de poser des mots à sonorités multiples.


Bon sang tout peut être dit en dehors de ce qu'il est ! Ciel, crocus, crotte, aube, maintenant.
A mon étonnement je jubile et je nomme à tout va !
Hêtre, plume, mousse, trou.
Et voilà que je tente des phrases ! Je peux dire comment est l hêtre et même le dire au corbeau.
Je peux aussi donner des noms d'oiseau aux arbres.


Je converse avec qui je veux, j'ai en face de l'étonnement, de la fuite, quelque fois un lièvre s'arrête croyant avoir mal compris mais c'est un partage furtif.
Il me regarde je redis ma phrase il ne bronche pas et détale.


Mes mots sont simples, adressés, clairs et peu à peu ils ne nécessitent plus de retour.
Ils deviennent des paysages sonores.
J'ai mon propre chant je me dis et il participe à la bande son de la forêt.
Les oiseaux me regardent comme je piafferais, ils tournent la tête, regardent d'un œil, retournent la tête et regardent de l'autre... Ni content ni merde, il a dit ses mots je dis les miens pourquoi devrait-on se comprendre ?
Les mots peuvent jaillir comme des coiffes d'indiens, ce n'est que couleur et plumes qui sortent de la tête !


A mesure que je piaffe s'ouvre un chant de possibles, je peux laisser pousser les mots n'importe comment, qui va dire qu'ils sont de travers, qui va dire qu'il ne les comprend pas. Ici on capte, on reçoit, rien n'importe d'autre que le présent du cri, que la survie de l'écho, on ne construit pas d'histoire elle s'écrit malgré nous, décidée par ce qui grouille dans un hasard de feuilles, détournée par une griffure, débusquée dans sa trame par une pluie curieuse.
Ici je peux crier siffler-péter-grogner-jurer-cracher-parler aux inertes, injurier les vivants, crier sur des toits rêvés, la paix qu'on me fout est à hurler de vie !


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