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Couverture de J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne

J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne

de Jean-Luc Lagarce


J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne : Extrait 2 : le départ du « jeune frère »

JMM, p. 41-45 / ThCIV, p. 256-258

LA PLUS VIEILLE. – Et pas plus d’effusions‚ non‚ pas plus pour ces deux-là
– la petite est cachée sous l’escalier‚ ce recoin‚ elle regarde et personne ne se soucie d’elle‚ elle ne compte pas – pas plus d’effusions pour ces deux-là‚ au beau milieu de la pièce‚ pas plus d’effusions pour elles‚ de tendresse.
Les adieux‚ non.


LA MÈRE. – Et elles étaient présentes‚ on ne l’oublie pas‚ présentes et bien présentes‚ et toutes vociférantes‚ comme déjà elles savaient l’être‚ et hurlantes encore comme elles l’apprirent‚ et tentant de retenir l’un et tentant d’empêcher l’autre‚
et s’interposer dans la bataille…


L’AÎNÉE. – M’a embrassée. Furtivement.


LA PLUS VIEILLE. – Rien du tout. On l’aurait vu.


L’AÎNÉE. – M’a embrassée‚ à peine esquissé‚ presque rien‚ m’a embrassée…


LA SECONDE. – M’a prise brutalement contre lui‚ à peine serrée dans ses bras‚ à peine embrassée‚ et aussitôt rejetée violemment‚
voulu m’éloigner et m’emporter avec lui‚ les deux à la fois‚ en même temps.


LA PLUS VIEILLE. – Rien du tout. C’est de l’arrangement. Vous inventez un peu plus chaque fois.


LA PLUS JEUNE. – Chaque fois.


L’AÎNÉE. – Voulait nous empêcher de le suivre.
Comme on se bat‚ le même mouvement‚ comme on se battrait‚ le même sentiment‚ la même violence‚ il m’empoigne‚ m’attire contre lui et me rejette encore.


LA SECONDE. – On gueule. On gueulait. Le père nous donne des gifles…


LA MÈRE. – Il ne vous a pas touchées‚ n’a jamais touché personne.


LA PLUS VIEILLE. – C’était ça le pire‚ il parlait très fort et rien d’autre.


LA MÈRE. – Jamais vu un coup passer.


LA SECONDE. – On gueulait. Il nous donnait des gifles‚ il nous donnait des coups‚ il balançait ses bras devant lui‚ à toute volée et nous prenions des coups.


LA PLUS JEUNE. – Cela leur plaît aujourd’hui : des souvenirs de batailles rangées. Ont la belle imagination‚ et fertile.


LA MÈRE. – Personne n’a vu ça. Vous vous arrangez. Celle-là‚ sous son escalier‚ ce recoin‚ peut dire la vérité‚ celle-là n’a rien vu.
Cela se fit dans la violence‚ je ne veux pas parler de ça‚ cela se fit dans la violence‚ des mots violents‚ mais juste des mots et rien d’autre.
Personne ne peut dire qu’il donna des coups‚ ce n’est pas vrai.


L’AÎNÉE. – Il nous gifle et nous frappe et nous ne pouvons retenir le jeune frère‚ il quitte la maison‚ nous n’avons rien fait.
On se sépare.


LA SECONDE. – Par la porte‚ on ne voit plus rien‚ à nouveau‚ c’est fini‚ juste la route qui descend vers le bois‚ là-bas et disparaît dans le virage. On aurait dû courir derrière lui. Sortir dans la cour‚ devant la maison et s’empoigner les uns les autres‚ et ne pas rester si dignes‚ comme nous voulons toujours l’être.


L’AÎNÉE. – On pouvait s’enfuir avec lui‚ cela qui aurait été le mieux‚ toutes ces années sur les routes‚ cela m’aurait plu.
Cela fait rire les trois plus jeunes.


LA SECONDE. – Il s’en fichait‚ il avait son sac‚ il n’allait pas s’encombrer plus.


L’AÎNÉE. – Le temps que tu mettes ta robe rouge‚ il était déjà dans le train.


LA PLUS JEUNE. – Pour le coup‚ c’est lui qui nous aurait mis des baffes pour qu’on le lâche !


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