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Couverture de Histoire d'amour (derniers chapitres)

Histoire d'amour (derniers chapitres)

de Jean-Luc Lagarce


Histoire d'amour (derniers chapitres) : Extrait 1 : Extrait du prologue

ThCIII, p. 291-293

LE DEUXIÈME HOMME. – Le Deuxième Homme.
Le prologue, c’est principalement l’histoire du Premier Homme, son départ, la fin de ses illusions.


LA FEMME. – Je reste en retrait, si proche aussi, à la fois. Elle dit qu’elle compte moins,
qu’elle est moins importante.
Elle est au second plan, il y a moins de lumière, on la voit mal.


LE PREMIER HOMME. – Le Premier Homme.
C’est toujours ainsi que j’avais vécu.
Je ne savais pas, je n’imaginais pas qu’un jour, cette nuit-là, par exemple, tout pouvait s’éteindre, se terminer.


Nous vivions ainsi tous les trois.
Le résumé de l’histoire, c’est cela.
Nous vivions tous les trois ensemble.
« Quel âge est-ce que nous avions ? »
C’est dans la vieille Ville que cela se passe.
Ici, auparavant, il n’y avait rien, c’était la campagne, pas de route et pas de maison.


Un jour, une nuit, cette nuit-là, tout s’achève, c’est la fin de cette époque de ma vie. J’ai un peu plus de vingt ans, vingt-deux, vingt-trois, on ne comprend pas très bien ce qui se passe.
Quelqu’un trahit.
Le Premier Homme, moi (celui que je fais),
le Premier Homme dit cela, il le pense.
Il l’écrit, sa manière à lui.
Il envoie une lettre et il écrit :
« Quelqu’un trahit... »
Cela soulage, les lettres anonymes, les lettres d’amour, je n’en écris pas assez.
Il quitte le lit, il quitte la maison, il marche vers la rivière (là que nous l’avons laissé),
il ne sait pas ce que ça va être,
il est malheureux, c’est à cela qu’il songe.
Cette complaisance que j’avais parfois pour le malheur !
Que j’ai ! Cette complaisance que j’ai pour le malheur !


Cela aurait été très beau, très élégant, de le crier dans la Ville éteinte (répétant : « dans la Ville éteinte »)
cela aurait été très beau de le crier dans la Ville éteinte,
extrêmement littéraire.
« Histoire d’amour », c’est une histoire littéraire.


LE DEUXIÈME HOMME. – Elle rit.


LA FEMME. – Lisant :
elle riait doucement, ou encore, elle pleurait, à peine, je ne me souviens plus.


LE DEUXIÈME HOMME. – L’autre homme, le second,
bien, admettons, moi,
le Deuxième Homme, à cette époque-là, quand tout commence, à cette époque-là, le Deuxième Homme ne faisait rien.
Il était le plus jeune
(il est le plus jeune)
il était le plus jeune, il me semble et il vivait là avec eux.


Quand l’autre descend vers la rivière, il est dans son lit et il dort.
Je dormais.
C’est cela, à ce moment, lorsque cela commence, je ne me souviens de rien, j’étais dans mon lit et je dormais.


LA FEMME. – Il aurait suffi de faire sonner le téléphone,
le tirer de son sommeil et lui dire,
lui rappeler énergiquement,
lui dire que tu existais.
Voilà, je crois, ce qu’il aurait fallu faire.


Bien sûr, cela aurait été moins beau peut-être,
dommage,
moins élégant,
moins « extrêmement littéraire », évidemment.
Comme je n’aime pas ça quand tu parles ainsi !
Lui dire au téléphone
(tu me regardes lorsque je te parle !)
lui dire au téléphone, abandonner la rivière au clair de lune et chercher la monnaie au fond de ta poche.


LE PREMIER HOMME. – A cette époque-là
(un ajout à la première version)
à cette époque-là, on voudra bien s’en souvenir, on pouvait, c’est une des différences sans importance avec le monde d’aujourd’hui,
à cette époque-là, on s’en souvient,
à cette époque-là, on pouvait téléphoner avec des pièces de monnaie.
Nous n’étions pas encore soumis à l’absolue et nécessaire préméditation des cartes magnétiques.


LA FEMME. – Je reprends :
lui dire au téléphone, abandonner la rivière au clair de lune et chercher la monnaie au fond de ta poche, le plus simplement du monde.


« Histoire d’amour », ce pouvait être aussi une histoire téléphonique, rien que cela.


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