Histoire d'amour (derniers chapitres) : Les Menteurs : Synopsis
par Jean-Luc Lagarce
A l'automne 1991, Jean-Pierre Galleppe propose à Jean-Luc Lagarce d'écrire une version cinématographique de sa pièce Histoire d'amour (derniers chapitres). Le projet n'aboutira finalement pas. Reste le synopsis...
Cela se passe le jour de la visite du Deuxième Homme et de la Femme
chez le Premier Homme‚ le plus âgé‚ celui qui écrit. Ils reviennent
dans la maison où ils vécurent tous les trois ensemble‚ il y a pas mal
d’années.
La ville est vieille‚ abîmée‚ assez noire. Le couple quitte une ville
moderne‚ de grands immeubles confortables‚ un peu froids et ils
roulent vers la vieille ville‚ et cette ville est sombre‚ comme abandonnée‚
comme une ville qui a subi une grave crise‚ la guerre ou la
défaite‚ comme une ville délaissée par ses habitants. C’est là que le
Premier Homme habite.
Ils redécouvrent le lieu de leur passé. Ils se sont embourgeoisés‚ ils ont
une belle voiture‚ une bonne voiture.
La Femme a toujours‚ presque toujours‚ un léger sourire sur le visage.
Rien ne doit la faire changer : elle écoute‚ elle ne se met pas en
colère. Le Deuxième Homme est bien habillé‚ il paraît un peu sévère‚
juste un peu‚ comme quelqu’un qui aurait décidé de ne pas se laisser
faire‚ qui serre les dents‚ comme quelqu’un qui sous le calme‚ serait
prêt à l’explosion de colère. (Lorsqu’ils étaient plus jeunes‚ on le
verra‚ il était très différent‚ il les suivait‚ il ne s’opposait pas à leurs
désirs.)
Le Premier Homme est malade‚ très malade‚ probablement. Il est
fatigué‚ parfois même il semble épuisé‚ prêt à dormir‚ sombrer. Les
deux autres paraissent surpris de son état‚ ils ne songeaient pas à le
retrouver si faible‚ si différent mais on ne parle pas de la maladie‚ la
mort qui pourrait être proche‚ on fait semblant‚ on évite ce sujet.
Le Premier Homme ne vit pas dans le luxe. Il ne semble presque
jamais sortir de la maison‚ elle est sombre‚ les volets sont à moitié
tirés. Les choses‚ les objets‚ les livres ne sont pas rangés. Dans le
passé‚ il y avait plus de lumière.
On se retrouve.
Au début‚ on ne se dit pas grand-chose‚ quelques banalités. La
Femme se promène à peine dans la maison‚ elle regarde les objets‚
une photo ou deux du temps où ils étaient plus jeunes‚ tous les trois
ensemble. Plus tard‚ dans le récit que fera le Premier Homme‚ on
verra la scène où cette photographie fut prise.
On déjeune. On s’efforce d’être joyeux. Le Premier Homme n’écoute
pas grand-chose‚ il parle beaucoup‚ comme quelqu’un qui aurait
perdu l’habitude de vivre avec d’autres. La Femme écoute avec
attention‚ elle s’oblige à cette attention.
On écoute de la musique. La même musique qu’on écoutait il y a de
nombreuses années déjà‚ ici même. C’est un air qui revient en tête.
C’est l’après-midi‚ ensuite.
Le Premier Homme leur lit l’histoire qu’il a écrite‚ il leur raconte le
livre qu’il essaie d’écrire et les deux autres écoutent.
À leur tour‚ ils en lisent quelques pages‚ comme le rôle qu’ils ont à
jouer. Elle‚ elle fait ça avec amusement‚ avec détachement‚ on ne sait
pas. Le Deuxième Homme ne veut pas trop s’en mêler‚ participer.
Puis‚ malgré tout‚ peu à peu‚ ils apportent leur contradiction‚ ils
donnent leur avis‚ leur opinion‚ ils tentent d’apporter leur version des
faits.
On découvre l’histoire à partir de cette dernière journée. C’est
sûrement la dernière fois‚ probable‚ qu’ils se voient tous les trois
ensemble.
On entend le récit de leur vie à tous les trois et on verra des pans de
cette histoire‚ sans toujours savoir si c’est la vérité‚ ce qu’ils ont vécu
ou si c’est ce que le Premier Homme invente. On entend la contradiction
apportée par le Deuxième Homme et la Femme‚ on voit leurs
versions.
La descente du Premier Homme‚ une nuit‚ vers la rivière. Il veut se
donner la mort‚ il marche vers la rivière pour s’y jeter. Pendant ce
temps-là‚ les autres dorment‚ on les voit dormir dans leur lit.
La Femme se réveille en pleine nuit comme si elle avait vu l’homme
se jeter dans la rivière. Le Deuxième Homme‚ le plus jeune‚ dort
toujours à ses côtés.
Le départ de la Femme. Elle est dans le train‚ elle va vivre ailleurs‚ elle
vit dans un autre pays. Sa vie avec un autre homme dans ce pays.
Les deux hommes dans la maison‚ vivant côte à côte et semblant
s’éviter. L’un écrit‚ l’autre dessine‚ trace des plans.
Dans le pays étranger où vit la Femme‚ dans la version de l’écrivain‚
c’est la guerre. La Femme ne se souvient pas de ça.
Ainsi de suite...
Se mélangent‚ en puzzle‚ les différentes versions de l’histoire‚ de leur
histoire : celle de chacun des personnages‚ celle du livre écrit par le
Premier Homme‚ celle encore que l’éloignement ou la perte des
souvenirs renvoie et modifie.
L’histoire comme un collage‚ une construction éclatée : des images
de leur passé‚ des images inventées par l’un ou l’autre personnage‚
des sons revenus du souvenir‚ des phrases qu’on garde dans la tête de
très nombreuses années plus tard‚ une petite musique‚ des mots qu’on
croit avoir dits ou des mots que les autres vous attribuent sans tenir
compte du contexte.
Jean-Luc Lagarce
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